De la multiplicité des régimes et des règles
Si le système de retraite par répartition reste sur le long terme le plus fiable face aux crises économiques, sachant que l’on demande des cotisations à ceux qui commencent à travailler pour donner une pension à ceux qui ont fait la même chose il y a trente ou quarante ans (ce qui peut faire penser au système Madoff)… il est le plus efficace tant que ceux qui cotisent sont bien plus nombreux que ceux qui bénéficient d’une pension.
Au sortir de la seconde Guerre Mondiale, lorsque les systèmes actuels de régimes de la Sécurité Sociale et de retraites par répartition furent mis en place, on ne se souciait guère de ce rapport de force : au début des années 50, on comptait presque cinq actifs pour un retraité, nous n’en sommes plus qu’à 1,4 actif pour un retraité, on peut imaginer qu’on se retrouvera très vite, d’ici à 2015/2020, à un pour un. Il faut donc être totalement hermétique à toute forme de bon sens ou tout simplement considérer son rôle d’opposant comme opposition systématique, ou encore d’élu de la majorité qui ne veut surtout pas avoir de problèmes électoraux avant la prochaine échéance, pour ne pas admettre que ce remarquable système est en train de se casser la gueule.
Et tout se complique dès lors qu’on met en avant les règles spécifiques qui subsistent au sein des régimes de base, notamment au niveau des régimes spéciaux, dont ceux de la Fonction Publique, là où le rapport du COR reste plutôt discret. Il n’est pas le seul puisque le Président de la République a promis de « tout mettre sur la table », sauf les régimes des fonctionnaires…
L’égalité a fait long feu
On dénombre en France un peu moins de cinq millions de fonctionnaires, fonctionnaires d’Etat, des collectivités territoriales et des hôpitaux. On sait que le calcul de leur pension est totalement différent de celui appliqué dans le privé. Pour un agent de l’Etat, ce sera 75% (hors primes) sur la base des six derniers mois, pour un salarié du privé, la pension prendra en compte les 25 meilleures années, on sera donc très loin des 75% du dernier salaire. Si on appliquait les règles du privé aux fonctionnaires, ils verraient leurs pensions réduites d’environ 20%. Mais ils cotisent plus, pourrait-on penser ? Faux. 7,85% de cotisation retraite dans le public, 10,55% dans le privé. En fait, aujourd’hui, 88% des retraites du public sont financés par l’impôt… donc aussi par les actifs du privé ! Globalement, 12% des ayants droit fonctionnaires perçoivent 31% des retraites du régime de base.
Alors pourquoi, dans un esprit d’égalité si cher aux Français paraît-il (quoique l’égalité chez nous consiste souvent à trancher tout ce qui dépasse !), ne met-on pas en place les mêmes règles pour tout le monde, en tenant compte bien sûr de la pénibilité de certains métiers ? Il n’y a pas de données sur la carrière des fonctionnaires au-delà de trois ans répond-on au service des retraites de l’Etat ! On se fout du monde. On pourrait encore noter que souvent, ces 75% du dernier salaire prennent en compte des promotions de fin de carrière qui augmentent les pensions de façon substantielle.
Autre anachronisme, les mères fonctionnaires ayant trois enfants peuvent prétendre à une retraite au bout de quinze ans, elles toucheront 40% de leur dernier salaire… à peine moins que ce que touchera un maçon après quarante ans sur un échafaudage.
Voilà bien comment fonctionne la France à deux vitesses : il y aurait d’un côté des super-salariés, et de l’autre ceux que les syndicats et les politiques ignorent, voire méprisent, pour la seule raison qu’ils n’ont pas les moyens de paralyser le pays. C’est minable et bien dans l’esprit de ces « valeurs de la République » dont on nous bassine les oreilles depuis des lustres.
Alors comment réformer ?
D’ici à 2050, les déficits des régimes de retraites seront supérieurs à 100 milliards par an. Et ce sont les prévisions les plus optimistes. Rappelons que le déficit était de 5,6 milliards en 2008, de 8,2 milliards en 2009, il dépassera les 10,7 milliards en 2010 pour le seul régime général. Nous sommes loin de « la propagande électorale » évoquée par Jean-Claude Mailly le patron de Force Ouvrière qui, dans Le Parisien du 16 mai ironisait sur le fait que repousser l’âge légal de 60 à 63 ans et d’allonger la durée de cotisation à 45 ans, ne couvrirait, à l’horizon 2030, « que la moitié des besoins de financement ». Mais c’est déjà pas mal, il ne reste plus qu’à trouver l’autre moitié… avec par exemple le relèvement de la taxation des dividendes, l’élargissement de l’assiette de la CSG, la suppression de niches fiscales, ou pourquoi pas, aller jusqu’à 65 ans au lieu de 63, puisque le recul de l’âge minimal de la retraite permet de ralentir la progression des effectifs des pensionnés et apporte des cotisations supplémentaires aux caisses. D’ailleurs, avons-nous le choix ?
Comment un salarié à 1.200 € pourra-t-il payer la pension d’un retraité à
1.800 € lorsque nous serons à un pour un ?
Et posons-nous une autre question récurrente qui est davantage liée à notre potentiel économique qu’aux seules statistiques démographiques : comment les retraités de demain pourront-ils être financés par des actifs gagnant 1200 euros par mois ? Comment un jeune salarié à 1200 euros pourra-t-il payer la pension d’un retraité à 1800 euros lorsque nous serons à un pour un ?
Reculer le départ en retraite parce qu’on vit plus longtemps est une chose, assurer le financement de ces retraites en est une autre. Et nous revenons à la case départ, celle du coût du travail, donc du coût du train de vie de l’Etat et aux mille milliards de dépenses publiques évoqués dans un autre article de cette édition, mille milliards que certains jugent pourtant insuffisants.
Enfin, pour conclure provisoirement, notons que le COR met en avant un autre système de calcul, celui du régime en points ou comptes notionnels quand l’acquisition des droits à la retraite est fondée sur le total des cotisations versées, c’est-à-dire qu’on ne compte plus seulement en durée de cotisation (régime en annuités).
Cent ans après la création du premier régime de retraite obligatoire (retraites ouvrières et paysannes par capitalisation aux mains de l’Etat), le débat revient en force sur le même sujet, mais avec d’autres enjeux il est vrai puisqu’il va monopoliser une partie de la campagne des prochaines présidentielles. C’est dire si on va entendre tout et n’importe quoi sur cette affaire, des solutions les plus pragmatiques aux plus révolutionnaires comme, par exemple, supprimer le budget de la Défense pour financer le pain des petits vieux. Il faudra quand même trouver des solutions cohérentes qui ne transformeront pas les salariés de demain en esclaves au service des retraités. Les pensions représentent actuellement 13% du PIB, elles seront vite à 20%, voire davantage quand on passera autant d’années en retraite qu’au travail, c’est-à-dire autant d’années à recevoir qu’à donner.
LE CHRONIQUEUR
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