De blocages en blocages…
Ainsi, depuis plus d’un siècle la vie sociale a vécu sous cette emprise, cet affrontement permanent que certains entretiennent entre les travailleurs et les dirigeants, y compris dans la Fonction Publique où le patron prend immédiatement les traits du Président de la République ou de son gouvernement. Et de la réforme la plus capitale au décret le plus anodin, c’est au quotidien une guerre de tranchées parce que chez nous, à aucun moment, même lorsqu’il est question de l’intérêt supérieur de la Nation, majorité et opposition ne peuvent s’entendre : sur mille sujet, les uns auront mille fois raison et les autres mille fois tort !
Et croyez-vous qu’une telle posture n’a pas pour conséquence des dommages collatéraux ? Nous traînons ce boulet depuis trop longtemps. Il n’y a jamais de trêve, encore moins d’armistice, vous trouverez toujours quelqu’un pour accuser un gouvernement d’avoir fait tomber Noël ou le 1er mai un dimanche… et par perversion anti-sociale, le Jour de l’An et le 8 mai qui suivent tomberont également un dimanche !
Contrairement aux Américains, aux Britanniques, aux Allemands, moins englués dans une lutte des classes stupide et archaïque et qui savent passer à autre chose une fois l’élection terminée, nous autres Français ne savons imaginer un salut que dans le coup d’après. Certes Bidule a gagné, mais il y a quand même 48% des électeurs qui n’en voulaient pas, sous-entendu, ça ne se passera pas comme ça. Il fallait la poigne d’un de Gaulle ou d’un Mitterrand pour envoyer à la niche le perdant préparer l’avenir à son goût. Le pire, c’est que nous nous mêlons de ce qui ne nous regarde pas. Lorsque Tony Blair apparaît moins rose qu’on ne l’imaginait, il devient immédiatement l’ennemi de classe vu d’ici. Son point de vue était pourtant normal, rappelant qu’il n’était pas au pouvoir pour le bien du Parti Travailliste mais pour celui de l’Angleterre. Lorsqu’il y a de graves inondations en Allemagne c’est la faute au climat, en Louisiane ce fut la faute à George Bush.
Ne rions pas, ce face à face permanent, relayé à longueur de journées par les médias, ces dénis d’évidence et autres mensonges d’Etat, de pouvoir ou d’opposition, ces points presse totalement contradictoires d’un parti à un autre sur des réalités fatiguent tout le monde. Et tout est bon pour entretenir un climat délétère : les retraites, le CO2, les déficits, la dette, les transports, la réforme de l’ANPE ou du nombre de trous d’aération des sièges de tracteur : si le gouvernement propose à ce sujet que l’on passe de 8 à 12 trous afin d’aérer les fondements de l’agriculture française, aussitôt en verra en boucle à la télé les leaders du PS arriver rue de Solférino pour un conseil extraordinaire qui se conclura par une déclaration de Benoît Hamon : « Nous pensons qu’il faut rester à 8 trous, c’est un acquis. » Et de leur côté, extrême gauche et FN crieront au scandale, à la collusion de la Bande des deux qui a peur de la réaction des vrais agriculteurs… qui n’ont pas de tracteur ! Quant à François Bayrou, qui lui a bien un tracteur (du moins on l’a vu assis dessus), il pense qu’un référendum serait plus démocratique. J’oubliais Mélenchon qui aura sûrement une phrase très classe pour parler des trous d’air !
Et pourtant
Pourtant, à y regarder de plus près, libéraux (qui ne se reconnaissent pas ainsi) et socialistes (qui pour beaucoup ne le sont plus depuis longtemps) ont globalement la même attitude aux affaires, tous dépensent sans compter les deniers publics, faisant passer l’Etat providence avant le souci de l’argent du ménage. Quand Martine Aubry reproche à Nicolas Sarkozy de creuser les déficits, on pourrait lui rappeler la prodigalité triomphante d’une gauche qui puisa allègrement dans les caisses en 1981 pour changer la vie comme elle disait à l’époque. On a changé la vie en embauchant massivement des fonctionnaires, et ça ne s’arrêtera plus.
Au fait, serais-je en train de diviser en parlant ainsi ? Allez savoir. Mais après tout, on aimerait comprendre. Comprendre pourquoi les progrès de l’informatique et des télécommunications ont libéré massivement des postes partout dans le privé, mais pas dans l’Administration, pourquoi parle-t-on, lors des grèves des cheminots, de la difficulté de leur métier mais jamais des nombreux avantages qui vont avec, pourquoi les élus, apparemment soucieux de l’argent public, refusent la réforme qui doit diviser par deux le nombre de conseillers généraux et régionaux en les regroupant sous l’appellation Conseiller Territorial, pourquoi certains, pas plus fatigués que ça peuvent plier les gaules à 50 ou 55 ans, alors que d’autres devront durer jusqu’à 65 ans, pourquoi ce qui est quasiment plutôt bon pour toutes les économies occidentales ne l’est plus dès lors qu’il s’agit de l’exception française, pourquoi il serait dangereux de dialoguer sur l’identité nationale alors que nos voisins peuvent le faire sans mettre en péril leur cohésion ?
Salut Public
Enfin, pourquoi devons-nous nous coltiner chaque jour des gens qui ont été au pouvoir il y a quinze, vingt ou vingt-cinq ans, qu’ils aient échoué ou réussi là n’est pas le débat, alors que les temps changent et qu’ils ne semblent rien voir ? A quand un gouvernement de Salut Public avec Giscard, Delors, Mauroy, Chirac, Fabius, Balladur, Aubry, Lang et Juppé, ces « grosses pointures » que le monde nous envie et qui étaient au pouvoir (déjà) il y a deux ou trois décennies ? Comme si les Anglais rappelaient Thatcher, Major et Blair, les Allemands Kohl et Schröder, et les Américains Bush père et fils, Clinton et Carter ? Allons-nous enfin sortir de ce 20e siècle pour aborder avec sérénité, envie et modernisme, ce 21e siècle qui a déjà dix ans, dix années perdues en querelles de zinc et affrontements nationaux alors que le monde vivait sa plus grande révolution économique ? Et que restera-t-il de la fameuse « grandeur de la France » si nous passons les dix prochaines années à faire semblant de croire que rien ne presse sous prétexte qu’il ne faut pas parler pour ne pas diviser ? Nous ne serons plus qu’une destination de vacances qui vivra des pourboires de ses visiteurs. S’il ne faut rien dire pour ne pas diviser ou fâcher les uns ou les autres, on peut au moins avancer une évidence : tout va très vite désormais sur cette planète, trop vite pour nous apparemment…
LE CHRONIQUEUR
Les Commentaires