L’auto qui passe au vert…
Qu’on se rassure, le rêve fait toujours partie du décor, et le dernier Mondial de Paris qui s’est déroulé du 2 au 17 octobre à la Porte de Versailles, a tout fait pour montrer aux visiteurs que le moral allait plutôt bien et que la morosité était une affaire ancienne. Certes, l’esprit conquérant des éditions précédentes avait peut-être mis un ou deux bémols à la clé, mais force est de reconnaître que les nouveautés n’avaient rien d’autos seulement utiles et banales. Certes les solutions dites alternatives étaient présentes dans toutes les maisons sérieuses, mais en partage d’espace avec les versions classiques des moteurs thermiques. Pour ce qui est des nouveautés du Mondial, nous vous invitons à les découvrir brièvement dans nos pages « rendez-vous au Mondial ».
Au-delà de cette fameuse prise de conscience sur le sauvetage de la planète qui a aussi engendré d’incroyables exagérations synonymes d’autant de mesures coercitives parfois inappropriées, voire stupides, le fond du bouleversement unique que vit le monde automobile est avant tout d’ordre économique. Si on voulait faire court, voici comment exposer le problème : les enfants du baby-boom qui ont fait les grandes et belles heures de l’expansion automobile, ont débuté dans le monde du travail avec des salaires confortables (souvent à l’époque autour de 10.000 francs), salaires qui pouvaient atteindre 20.000 ou 30.000 francs vingt ans plus tard. On avait alors les moyens de s’offrir un Range Rover ou une belle « Béhème ». Aujourd’hui, le même jeune débute à 1100 euros, avec une prévision à 1300 euros dix ans plus tard, voire 1500 euros. A 45 ans, il s’offrira une… Logan !
Les constructeurs, qui sont aussi des financiers, ont bien enregistré ces changements. Ils ont compris que le salut était, sinon dans le « low cost », du moins dans une offre en adéquation avec le pouvoir d’achat actuel.
Il faut dire également que la montée en gamme fut aidée par un crédit qui s’allongeait dans le temps, le consommateur passait allègrement d’un achat à 15.000, puis 20.000 et enfin 30.000 euros sans vraiment changer sa charge mensuelle de remboursement, le crédit pouvait basculer de 24 à 60 mois.
Les habitudes de consommation ont changé ces deux dernières années, l’argent du ménage est désormais réparti différemment, et l’auto ne tient plus la même place qu’avant. Est-ce à cause de la crise ou est-ce ce changement « spontané » qui a généré la crise de l’automobile ? Qui a commencé, l’œuf ou la poule ? Mais n’oublions pas que l’on consomme aussi de la téléphonie, de la communication, des loisirs, et que se loger coûte horriblement cher. Et revoilà le séisme évoqué plus avant.
Quelques chiffres pour la route
Tout est allé très vite, nous l’avons évoqué dans ces mêmes colonnes auparavant, le matraquage initié par le Grenelle de l’Environnement et les effets collatéraux de la crise ont plombé les marges du secteur automobile qui aura abandonné en 2009 en France quelque 54.000 emplois, dont 35.000 chez les seuls fournisseurs et sous-traitants. Le paradoxe est aussi du voyage : lorsque les immatriculations de voitures neuves flambent avec + 10,7% en France en 2009, dans le même temps, la production hexagonale des constructeurs français diminue de 15,3%. Les bonnes ventes auront principalement été faites avec des autos fabriquées en Europe de l’Est (Twingo, 107, C1, Clio, Logan…).
Sur le plan mondial, la production a chuté de près de 15% l’an passé, retombant au niveau de 2003 avec 47 millions d’unités, certains pays comme le Japon et les Etats-Unis faisant de très mauvaises affaires avec une baisse de plus de 30% de leur production. De son côté, l’Europe a limité la casse grâce aux nombreuses aides et incitations, le repli fut de 13% avec quand même quelque deux millions de véhicules en moins. Seul marché en pleine forme, celui de la Chine qui frime avec + 30%. On notera + 17,9% de production en Inde, et + 18,2% en Roumanie, là où on fabrique la Logan et la Sandero.
Concrètement, depuis 2009, la Chine est devenue le premier marché mondial et le premier producteur de véhicules (avec une soixantaine de constructeurs dont 7 figurent parmi les 25 leaders mondiaux. Suivent respectivement le Japon, l’Allemagne, les Etats-Unis et la Corée. La France, qui était le 4e producteur mondial il y a peu est désormais à la 9e place après le Brésil, l’Inde et l’Espagne. On ne peut trouver meilleur exemple de délocalisation. En 2009, Renault a fabriqué moins de 550.000 véhicules sur le territoire français pour une production totale de 2,3 millions, alors que PSA fabrique encore en France environ la moitié des 3 millions de Peugeot et Citroën produites.
Lors du Salon de Genève en mars dernier, les deux patrons, Carlos Ghosn pour Renault et Philippe Varin pour PSA, fustigeaient ouvertement le système français, accusant les coûts de fabrication prohibitifs en comparaison de ceux de nos voisins : « L’Allemagne a beaucoup travaillé sur ses charges alors que nous ne l’avons pas fait » expliquait un Carlos Ghosn très remonté. Il s’agissait alors d’anticiper l’annonce des mauvais résultats de l’année précédente, 3,1 milliards de pertes pour Renault et 1,1 milliard pour PSA.
Le cas Renault
« Il faut réduire les coûts, dont la masse salariale, et se préparer pour l’après crise » dit-on chez Renault, rappelant que le monde d’après crise n’est pas celui d’avant la crise. Elémentaire. On l’a compris, après lecture d’une perte colossale on serre les boulons à bloc et on prépare l’avenir… électrique, le Français étant parti à fond les manettes sur ce créneau, le Mondial de Paris a confirmé cette stratégie, risquée avertissent certains, du tout électrique. D’ailleurs, hormis une nouvelle « grosse berline » baptisée Latitude et venant tout droit de chez l’associé coréen Samsung (on dirait une Sonata d’il y a dix ans !), tout le stand du français fonctionnait à l’électricité.
Il y a quelques mois, Carlos Ghosn fut violemment critiqué (et même convoqué à l’Elysée !) à propos de la Clio 4 qui sera fabriquée en Turquie. Mais comment peut-on faire semblant de tout ignorer soudainement ? La plus grande usine Renault est à Bursa en Turquie, à 3.500 km de Billancourt et de la cabane en bois où Louis Renault assemblait ses premières autos. En fait, seulement 20% des Renault sont assemblées en France, contre 60% il y a dix ans. Mais dans le même temps, Renault a pris 44% de Nissan et a racheté Dacia pour vendre une auto dans le monde entier. La progression de l’ex-marque roumaine n’est pas due au hasard, depuis 2006, le prix moyen des voitures neuves achetées par les Européens a baissé chaque année. Au cours du premier semestre 2010, la gamme économique et inférieure a encore progressé de 9% en France pour représenter 57,5% du marché. D’où le succès de la Logan et de Sandéro, et pas seulement en France, mais sur tout le Vieux Continent. En ce sens, Dacia est une marque très moderne car en adéquation avec la demande actuelle. Il s’est vendu en France sur cette même période de janvier à juillet 2010, 61.249 Dacia, soit presque autant que de Ford, plus que de Fiat (41.000) et d’Opel (49.000), et un peu moins que de Volkswagen (76.500). Voilà la réalité d’une demande orientée vers moins d’équipements et moins de puissance, vers une auto qui ne représente plus un statut social mais une nouvelle manière de penser les déplacements.
Alors, qui peut aujourd’hui critiquer le constructeur français dans sa politique de développement du « low cost », politique menée certes avec Dacia, mais également avec la maison mère, Fluence, berline commercialisée au printemps, n’est-elle pas une sorte de Laguna low cost ? Mais après tout, n’est-ce pas une stratégie raisonnée, à savoir devenir un constructeur low cost afin de placer un maximum d’autos sur toute la planète et passer de 2,2 à 4 millions d’unités produites ?
En fait, la grande interrogation concerne la stratégie retenue pour les dix prochaines années avec une mise banco sur l’électrique quand la concurrence répond hybride. Il faudra que l’intendance suive, à savoir les batteries plus performantes, les stations de recharge que le patron de Renault voit pousser partout à brève échéance, sans oublier des coûts d’achat attractifs. Et là, on le sait, on navigue globalement sur deux fois le prix d’une auto dite classique.
Aujourd’hui, la solution électrique a son avenir en ville avec des professionnels (comme pour la livraison) et les collectivités. Il ne sera pas aisé de vendre aux particuliers des autos 100% électriques avec les autonomies actuelles.
L’auto miroir de la société ?
C’est dit, l’auto de 2010, de 2015, ne sera pas celle des années passées. Oui, il y aura toujours des clients pour le haut de gamme, mais c’est entre 20.000 et 30.000 euros que le coup a porté, c’est ce client qui a changé ses habitudes, délaissant le produit plaisir pour un produit utile. Il faut aussi reconnaître que les pouvoirs publics ont mis le paquet pour tuer la poule aux œufs d’or ou pour se tirer une balle dans chaque pied : l’automobile est devenue, en peu de temps, source de Mal Absolu : elle pollue la planète, elle tue, on a donc mis en place une batterie de mesures encore plus coercitives afin de traquer sans répit les délinquants avec les radars-machines à sous. De plus, elle est ringarde, c’est tellement plus « fun » de se déplacer à vélo… au cœur des villes bien sûr. Faute de quoi il vous reste un RER pourri ou un bus glacial, voire des trains les jours de grève.
Alors, de la peur du gendarme en passant par les effets d’une crise et l’envie de dépenser ses sous autrement, l’automobile a mis le frein à main. Et bien malin celui qui peut prédire l’évolution sur les dix prochaines années. On roulera toujours, très majoritairement à l’essence et au gasoil, les plus aisés passeront à l’hybride pour s’acheter une conscience écolo, la solution électrique trouvera sa place auprès des professionnels et dans les villes, mais il paraît certain que la note moyenne risque encore de baisser, les constructeurs le savent et se préparent à cette nouvelle donne, car il va bien falloir apprendre à vivre avec des marges à la baisse. Ce qui ne manquera pas de tuer ou mettre en péril les plus fragiles (on l’a vu cette année avec Saab et Hummer), de générer des rapprochements pour une meilleure mutualisation des coûts de fabrication ou des ventes menées tambour battant comme Volvo au chinois Geely (la Suède aura perdu ses deux constructeurs en un an !), et certainement d’accentuer les politiques de délocalisation, même si un Président de la République fustige le fait qu’une auto fabriquée à l’étranger par un constructeur français soit ramenée en France pour y être vendue à un client français.
Ne soyons pas stupides dans notre analyse de la situation, plus nous voudrons acheter pas cher et encore moins cher, plus il faudra fabriquer pas cher, encore moins cher. Et ce n’est pas à Flins, à Poissy ou à Rennes que l’on diminuera les coûts massivement. Ou alors on accepte de redevenir sérieux en acceptant de payer « le prix juste ». Mais sérieux des deux côtés. Car il faut bien reconnaître que les constructeurs ont également bien profité de l’effet crédit qui rendait les autos abordables sur 48 ou 60 mois… au lieu de 24, ce qui permettait ainsi de masquer des tarifs quasi-prohibitifs.
L’industrie automobile fait partie des quelques rares fleurons encore en vie chez nous, n’organisons pas son démantèlement sous la houlette de quelques lobbies écolo qui savent parfaitement obtenir ce qu’ils veulent, le plus souvent au détriment de 90% de la population.
Peut-on conclure en disant que l’auto est un peu le miroir de la société ? Pourquoi pas ? Nous sommes en quasi-décroissance, nos autos nous ressemblent de plus en plus, et il n’y a pas si loin d’ici au jour où nous ne ferons qu’admirer les belles berlines allemandes que nous ne pourrons plus nous payer, celles-là seront réservées au caïds des banlieues. Et les beaux penseurs trouveront ça tellement normal…
LE CHRONIQUEUR
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