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Le Parti Communiste fête ses 90 ans dans l’indifférence générale…

20/01/2012
Du premier chef, Ludovic-Oscar Frossard, au dernier, Pierre Laurent, donc depuis décembre 1920 à nos jours, nous allons vous raconter une histoire de 90 ans qui avait plutôt bien débuté, et qui s’apprête à donner ses ultimes représentations ? C’est bien sûr celle du Parti Communiste Français, né de la scission de la SFIO au congrès de Tours lorsque nombre de militants émirent le souhait de rejoindre l’Internationale Communiste (ou Komintern). La SFIC (Section Française de l’Internationale Communiste) ouvrira la voie, et dès l’année suivante on parlera de Parti Communiste.

 

Des figures symboliques

S’il fallait n’en retenir que deux, alors évidemment on appellerait à la barre Maurice Thorez, patron de 1930 à 1964, et Georges Marchais, secrétaire général de 1969 à 1994. Le premier a fait du parti une véritable machine de guerre dans les pas de Staline, le second fut à l’aise dans son époque médiatisée, vendant le PCF tel un VRP mettant le pied dans la porte le catalogue à la main. Mais la France avait changé entre temps. Celle de Thorez votait à près de 30% pour le PCF, 28,2% aux législatives de 1946 et 182 sièges ( !), 26% en 1956 et 150 sièges. Juste après la seconde Guerre Mondiale, le Parti Communiste était la première force politique en France. Et jamais, avant l’élection de François Mitterrand, quand Georges Marchais réalisait 15,3% au premier tour (avec quand même 4,4 millions de voix), le parti n’était passé en-dessous de la barre des 20%, le dernier « bon score » datant des législatives de 1978, 20,8% et 86 députés.

D’autres hommes bien sûr ont marqué l’histoire communiste en France, Marcel Paul et Charles Tillon, qui refusèrent de s’aligner sur le pacte germano-soviétique, pacte qui justifia la désertion de Maurice Thorez qui s’en ira passer les années de guerre à Moscou (et qui sera amnistié par de Gaulle à son retour), puis au cours de la seconde moitié du 20e siècle, Jacques Duclos, dont l’attitude durant l’été 1940 fut souvent controversée, et Waldeck Rochet s’illustreront à leur manière avant Georges Marchais, leader flamboyant dont les successeurs seront Robert Hue et Marie-George Buffet. Mais ce n’était déjà plus du même tonneau.

 

 

Tombé du Mur

Présent sur tous les fronts politiques depuis sa création, du Cartel des Gauches au Front Populaire, présent mais aussi très critique, de la Résistance, officiellement à partir de juin 1941, date de l’attaque d’Hitler contre Staline, à Mai 68, là encore avec des réserves d’usage, suivant plus le cortège de la contestation que ne l’organisant, le PCF a subi sa première crise d’identité et son premier avertissement quant à son devenir avec l’arrivée de François Mitterrand à l’Elysée en 1981. Il faut dire que cette victoire socialiste n’était pas du goût du Comité Central, et l’un dans l’autre on se serait bien payé une deuxième tournée de Giscard (n’était-il pas le candidat préféré de Moscou ?).

Mais las ! La gauche était aux commandes, et pour la plupart de ceux qui avaient voté Mitterrand au second tour, il paraissait logique que le Parti Communiste participât à la fête : quatre de ses membres entraient au gouvernement, Fiterman, Ralite, Le Pors et Rigoud, le quatuor devra avaler la politique de rigueur et trois dévaluations, il tiendra jusqu’à l’arrivée de Laurent Fabius à Matignon. 

Le cœur n’y était plus, les militants de même. A la veille de la chute du Mur, André Lajoinie faisait fondre les réserves de la gauche prolétarienne comme de l’emprunt russe avec ses 6,7% à la présidentielle de 1988. Les premiers coups de pioche avaient été donnés par un Parti Socialiste désireux de se débarrasser (en le tuant) d’un allié encombrant et un brin ringard dans cette France qu’il voulait moderne et social-démocrate, les coups sur le Mur achèveront cet ex-colosse. Avec la fin de l’Union Soviétique, c’est tout le système qui partait à vau-l’eau. La maison mère ayant mis la clé sous la porte, il ne restait réellement que la vente du muguet pour faire tourner la baraque du colonel Fabien : 3,3% à la présidentielle de 2002, 1,9% en 2007, même plus de quoi atteindre les symboliques 5% synonymes de remboursement des frais de campagne.

Tombés du Mur, les communistes français payaient cash leurs égarements passés comme l’alignement sans failles sur les directives de Moscou. On se souvient des « bilans globalement positifs » d’un Georges Marchais jugeant les pays satellites de l’ex-Union Soviétique, de la négation du goulag et autres procès de Moscou… organisés aussi au sein du PCF. Il était loin le temps où des agents du KGB portaient les valises pleines de dollars pour faire vivre le PCF. On parle de quelque 50 millions de dollars qui auraient été versés par Moscou entre 1970 et 1990.

  

Perte de crédibilité dans un monde en mouvement

Si le PCF est passé d’environ 4,5 millions d’électeurs à 700.000 (en 2007), ce n’est uniquement à cause de la disparition de ses militants frappés par la limite d’âge naturelle. Ceux qu’on appelait « les vieux communistes » sont partis les uns après les autres certes, mais si l’idée est bonne, si le combat est juste, si le message est compréhensible et correspond aux réalités de l’époque, la relève est toujours possible. Mais quel trou noir depuis la chute du communisme en Europe de l’Est, quel manque de discernement de la part des directions successives qui n’ont pas vu et compris que le monde changeait et que le tissu social, ici en France, n’était plus le même : que reste-t-il des bastions traditionnels du parti, mines, hauts-fourneaux, usines, ateliers ?… là où le militant était recruté, souvent par la courroie de transmission syndicale de la CGT, qui elle aussi a perdu ses citadelles, obligée aujourd’hui de faire la manche auprès des fonctionnaires qui n’en ont jamais assez.

Et c’est sur sa droite que le PCF s’est d’abord fait déborder, perdant nombre d’électeurs traditionnels qui s’en allaient écouter les sirènes de Jean-Marie et de son Front National, puis sur sa gauche par les révolutionnaires d’extrême-gauche menés par Laguiller et Besancenot, dont les discours radicaux chauffent les plus jeunes que le PCF savait encarter (et calmer) autrefois. Une hémorragie fatale qui condamne ce parti qui fut l’une des grandes forces du 20e siècle à aller se faire transfuser chez Mélenchon pour survivre encore quelques temps. Combien de temps ? Si le ticket Mélenchon – PCF se plante en 2012, le dépôt de bilan sera dans l’air…

Et ce ne sont pas les paroles recentrées à la gauche de la gauche par Pierre Laurent (fils de Paul) le nouveau Premier Secrétaire, qui changeront le cours de l’histoire. Avec 17 députés élus en 2007 (dont quatre sont déjà partis ailleurs) et 20 sénateurs, le parti n’a plus les moyens de se faire respecter par ses alliés de gauche, parce qu’il ne pèse pas plus que son score aux deux dernières présidentielles, c’est-à-dire beaucoup moins que les Verts, nouvelle coqueluche des socialistes, des Verts qui ont pris sa place parce que ça fait bien, jeune et moderne de sortir avec eux. Et c’est terrible à vivre vu de l’intérieur.

 

Un peu de bonheur quand même…

Heureusement, il reste les mairies, le PCF tient encore plus de 80 villes de plus de 9.000 habitants (mais plus une seule de plus de 100.000 habitants), citons Arles, Dieppe, Aubagne, Saint-Claude, de nombreuses villes moyennes de la couronne parisienne, et ici, en Rhône-Alpes, Vénissieux, Vaulx-en-Velin, Firminy, Givors, Fontaine, Echirolles, Saint-Martin d’Hères… de quoi placer encore quelques apparatchiks le plus légalement du monde, et qui font souvent office de permanents du parti.

Mais là encore, combien de mairies le PCF pourra-t-il conserver la prochaine fois en 2014, rappelons qu’il a dû abandonner la moitié de ses conseillers régionaux en mars dernier ?

Elu avec 80,7% des voix lors du XXXVe Congrès, Pierre Laurent, ex-directeur de la rédaction de L’Humanité, restera peut-être pour l’histoire le dernier Premier Secrétaire de l’un des plus anciens partis de France avec la SFIO et le Parti Radical.

« Le parti communiste français après la chute du Mur de Berlin : agonie ou mutation ? » s’interroge Stéphane Courtois dans son dernier livre « Le bolchevisme à la française » (voir notre article Livre dans cette édition). L’agonie a commencé sous Mitterrand, elle a empiré après la chute du Mur et la perte de tous les repères ancestraux du parti, dont cette fameuse lutte des classes. Désormais, le parti préfère les contorsions politiques et fait des défenses des minorités quasiment son seul combat (sans-papiers, droit au logement, femmes battues, homosexuels…).

Quant à la mutation « made in Mélenchon », elle ne durera que ce que dure le temps du muguet, c’est-à-dire celui d’une élection au mois de mai en 2012, après, le bonhomme s’en ira voir ailleurs ou retournera chercher un poste si ses ex-amis décrochent la timbale. Pour réussir, la mutation devait commencer avec les années 90, avec de nouveaux dirigeants et un nouveau regard sur les demandes (ou revendications) des salariés qui se foutent totalement de la dictature du prolétariat et de l’anticapitalisme primaire. 

En fait, le PCF n’est pas mort que de ses mensonges répétés sur le goulag, les bilans globalement positifs, le parti de la paix et autres slogans juste bons pour des affiches, il est mort aussi de son incapacité à se régénérer au sein d’une société en perpétuel mouvement et dont les conditions de vie ont considérablement été bouleversées vers le mieux, voire le bien mieux, depuis les années 60, et ce malgré le chômage, la fermeture des mines, la crise. Les responsables du parti parlent comme on parlait aux ouvriers en 1936 pour les inciter à se mettre en grève, ou comme en 1946 pour les mettre en garde contre le péril américain qui pesait sur la Nation. A cet égard, Marie-George Buffet était dans la droite ligne d’un Georges Marchais ou d’un Jacques Duclos : mensonges et langue de bois !

Le 29 décembre prochain, le Parti Communiste Français va fêter ses 90 ans, c’est quasiment à la maison de retraite qu’on portera des fleurs… si ce n’est pas au cimetière. Dommage pour le débat qui mérite mieux que ces affrontements d’aujourd’hui organisés entre gens biens où chacun se positionne par rapport à une batterie de sondages et un catalogue d’idées politiquement correctes qui « doivent faire consensus » comme on dit.

Mais peut-être que débattre d’idées est désormais illusoire. Peut-être que la notion même d’idées n’est qu’une affaire obsolète, d’une époque révolue, puisque tout le monde doit avoir le même avis… à quoi serviraient des idées ?

 

Jean-Yves Curtaud

12/2010

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