Bien sûr, la démocratisation de l’engin a eu ses effets pervers, encombrement, pollution, pompe à fric (ce que les politiques ont parfaitement perfectionné), d’où une prolifération des règlementations et mesures coercitives assises à la place du mort. Mais tous les gendarmes de la morale et autres promoteurs du vélo obligatoire en ville n’y pourront rien, l’auto reste encore plébiscitée, 83,5% des ménages en possèdent au moins une (source CCFA 2011).
En panne ?
Depuis quelques semaines, le débat s’est considérablement recentré sur le volet économique et social de l’automobile, et principalement sur la santé de nos trois constructeurs nationaux. Si on parle beaucoup actuellement du devenir de l’usine PSA d’Aulnay où plus de 3.000 emplois sont menacés, il ne faut pas oublier que toute la filière tourne sur trois cylindres, et ce ne sont pas les chiffres des ventes au premier semestre 2012 qui rassureront les salariés directs et indirects de ce secteur. Peugeot affiche une baisse des ventes de 23%, Citroën de 20%, et Renault de 19,6%... le tout sur un marché global en chute de 14,4% (sources CCFA). Les trois français dégringolent donc plus vite que l’ensemble du peloton. Pire, dans le même temps, certains voient leurs scores s’envoler, notamment les coréens qui cartonnent, Kia à + 23,8% et Hyundai à + 35%. Citons encore Nissan + 6,7%, et même le haut de gamme semble en forme, Audi fait + 2,8% et Mercedes + 4,6%.
Où est la plus-value ?
Est-ce à dire que les autos françaises ne plaisent plus ? Pas question d’aller sur ce terrain-là, mais il est vrai que certaines gammes vieillissent, on sait que Renault a grand besoin de renouveler son offre car le tout électrique n’est pas la panacée ; et on peut également penser que la gamme Peugeot ne rencontre plus le même enthousiasme. Seule la ligne DS chez Citroën, ou encore 3008 chez le Lion, ont apporté un peu de fraîcheur et d’innovation ces deux dernières années.
En fait, le problème des constructeurs français est double : l’effondrement du marché européen leur a porté un coup terrible : en 2011, sur 25 pays européens, les immatriculations de Renault ont chuté de 8,1%, de 8% pour Citroën et de 9,4% pour Peugeot… sauf que ce marché n’a pas été mauvais pour tout le monde, BMW était à + 7,8%, Audi à + 9%, Volkswagen à + 9,1%, et Volvo, constructeur sino-suédois à + 10,5%. Comme quoi des européens peuvent encore faire des affaires en Europe.
L’autre problème est lié à la valeur ajoutée. On le sait, les constructeurs français vendent principalement de petites autos, qu’ils sont d’ailleurs quasi-obligés de faire fabriquer là où la main d’œuvre est bien moins chère, en Roumanie, en Slovaquie, en République Tchèque, en Slovénie, voire au Maroc ou en Turquie, histoire de gagner un billet de mille ou mille cinq cents euros en plus sur le prix de l’auto vendue chez nous une fois le transport déduit.
Petite auto, petit prix, donc petite marge, et personne n’arrive à gagner correctement sa vie. De plus, ces autos intéressent peu les gros marchés émergents comme la Chine, la concurrence sur le bas de gamme fait rage, et les classes moyennes qui émergent soudainement veulent rouler dans des autos dites de prestige. C’est la force des Allemands Audi, BMW, Porsche, Mercedes, Allemands également présents sur le marché nord-américain où nous n’avons pratiquement jamais mis les pieds, faute de pouvoir monter des réseaux ou des partenariats.
Des initiatives
Oui, il y a des idées qui aboutissent. Ainsi, Citroën lance C-Elysée, et Peugeot l’équivalent baptisé 301, deux autos pour les marchés turc et de l’Europe de l’Est, puis chinois par la suite, mais deux autos « low cost » car conçues sur le système Logan. Du pas cher avec de la « récup », ce qui va laisser un goût amer aux concessionnaires au moment des comptes. Car ne nous y trompons pas, ces deux autos arriveront très vite sur le marché français à l’instar de la Logan qui, au moment de son lancement chez nous en 2005, ne devait pas concerner plus de 5.000 ventes par an. Pour information, il s’est vendu en France en 2011 quelque 88.900 Dacia !
Alors, et ce « new deal » ?
Certains pensent que nous sommes sans doute allés au bout des implications de la pensée taylorienne sans nous en rendre compte. Peut-être, mais cela remonte à au moins vingt ans. Aujourd’hui, le problème est ailleurs. Les habitudes des consommateurs ont changé, le coût pour se loger n’y est pas étranger. Si il y a encore cinq ans les ménages acceptaient de payer un billet de 30.000 euros au changement de véhicule, globalement, désormais, on se retrouve plus près de 15.000 ou 20.000 euros. Et on change moins souvent, notre parc vieillit, il a huit ans d’âge moyen.
Et puis, les constructeurs nous le disent, pourquoi payer plus cher quand on peut sortir un Duster à tarif « low cost » ? Et une balle dans le pied ! Sous-entendons pourquoi acheter un SUV ou un 4X4 de luxe à 50.000 euros alors que Renault – pardon Dacia ! – vous en propose un à 15.000 € ? Elémentaire ! Mais voilà, comme les gens sont compliqués, ils sont de plus en plus nombreux à acheter des SUV ou 4X4 luxueux à 50.000 € et plus. Des SUV allemands bien sûr, et qui laissent de belles marges qui nous échappent.
Certains élus des territoires concernés par la présence d’usines du secteur automobile français évoquent une sorte de « new deal » de la filière, l’association est par ailleurs présidée par M. Moscovici, désormais en CDI à Bercy. Mais que peuvent-ils faire hormis instaurer une taxe sur les véhicules allemands, comme cela a comme par hasard été évoqué. Bien sûr, on ne nomme pas les constructeurs, on se contente de parler « d’autos encombrantes et puissantes ». Stupide ! Car nos produits performants en Allemagne se verraient aussitôt appliquer la même punition.
En fait, le « new deal » est dans nos têtes car lié à notre système économique et social. Nous fabriquons trop cher, et là nous ne sommes plus sur le seul volet automobile.
Notre erreur, s’il en est une, fut d’avoir pensé envahir l’Europe avec nos petites voitures tout en négligeant le secteur haut de gamme, ce que le Groupe Volkswagen, par exemple, n’a pas fait, allant même jusqu’à « cannibaliser » les marchés en mettant en place son quatuor démoniaque, VW, Audi, Skoda et Seat : une offre la plus large possible allant d’un trois cylindres au puissant V8.
Non, le « new deal » n’est pas la seule affaire du garage, il est potentiellement global, mais il va falloir l’expliquer aux Français. Courage ! Aux Etats-Unis, Roosevelt était parti du principe de « tout essayer » afin de trouver les meilleures solutions. Peut-on parler de « new deal » en France où il n’est jamais question d’essayer quelque chose de nouveau, de réformer ?
La crise que traverse notre industrie automobile est à l’image d’une partie de notre secteur industriel. Ce n’est même plus seulement une question de coûts de fabrication et de pouvoir d’achat (ne l’oublions pas celui-là), c’est quasiment devenu culturel : plus personne ne veut travailler en usine, et bientôt plus personne ne voudra travailler pour un patron. Le salut ne viendrait que du public, mais on sait ce qu’il adviendrait d’une nationalisation de l’industrie automobile : des autos mal faites, très chères à fabriquer, donc invendables ! Et Monsieur Montebourg pourra sillonner la France avec ses commissaires du Redressement… il ne redressera rien !
Il est à craindre que ce qu’il va arriver à Aulnay ne soit qu’une étape. En 2010, PSA a fabriqué 376.000 autos en Chine sur le site de Wuhan (avec Dongfeng Motor), soit un peu plus que sur le site historique de Sochaux (363.000 autos). Quant à la production d’Aulnay, qui concerne la C3, elle représentait en 2010 quelque 195.000 véhicules fabriqués, soit moins qu’à l’usine de Kolin en République Tchèque qui a produit 212.000 autos dans le même temps (C1 et 107), et légèrement plus que celui de Tmava en Slovaquie pour les C3 Picasso et 207 (186.142 unités).
La vérité, c’est que ces ouvriers-là coûtent trois à quatre fois moins chers que ceux d’Aulnay, et que les autos que nous produisons ne dégagent pas assez de marges.
Il n’y a pas de « new deal » à trouver, il faut du bons sens et accepter l’évidence : plus nous demanderons du confort, des loisirs, moins de travail et des retraites plus tôt, plus nous paierons d’énormes charges et plus notre compétitivité s’essoufflera. Jusqu’au dernier signe de vie.
Fernand Hurt
LE CHRONIQUEUR
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