Qui était Jean Bertin ?
Avant de retracer l’histoire de ce train qui aurait pu (aurait dû ?) prendre la place du TGV et qui faisait appel à la technique de lévitation magnétique, traçons rapidement le portrait de cet homme qui a sa place au Panthéon des inventeurs de talent.
Il est né en 1917 à Druyes-les-Belles-Fontaines au moment où la France comptait ses morts, sans savoir qu’elle allait « enfin » entrer dans le siècle nouveau. On dira de lui qu’il fut sa vie durant un passionné de recherche et un patriote.
Très jeune il voyage, et il sait que le monde va connaître de grands bouleversements : « En 1938, j’avais la conviction qu’une nouvelle société se construisait Outre-Atlantique » écrira-t-il plus tard. Il entre à Polytechnique à ce moment-là, il sera diplômé de l’Ecole Supérieure de l’Aéronautique en 1943, ce qui lui permet d’intégrer rapidement la SNECMA… entreprise qu’il quittera en 1956 pour fonder, avec l’un de ses amis, la société « Bertin & Cie », une sorte de bureau de matière grise où oeuvrent ingénieurs, dessinateurs, ouvriers spécialisés. La société dépose environ une quarantaine de brevets chaque année, et ses clients sont autant des entreprises privées que des organismes d’Etat : aérodynamique, thermique, propulsion, insonorisation, fusées… les domaines d’intervention sont multiples.
En 1957, Louis Duthion, l’un de ses collaborateurs, qui travaille sur des silencieux pour moteurs d’avion, met en évidence un phénomène récurrent : l’effet de sol ou coussin d’air. L’augmentation de la pression de l’air qui se trouve comprimé entre le véhicule et le sol doit s’échapper : le coussin d’air va maîtriser ce flux.
Une vieille histoire
Si le brevet est déposé par Louis Duthion en 1961, cette affaire du coussin d’air n’est pas vraiment un scoop. Dès le 19e siècle, en 1860, Louis Girard, un ingénieur français, avait imaginé un train à coussin d’air. D’autres tentatives seront effectuées dans le même sens sur différents types de véhicules. Mais la première véritable réussite date de la première Guerre Mondiale, et c’est un Allemand qui parvint à fabriquer un bateau à coussin d’air, une sorte d’ancêtre de l’Hovercraft !... une technique en partie développée par « Bertin & Cie », mais les Anglais investiront de l’argent public pour cet aéroglisseur nautique. Ils gagneront la guerre de l’Hovercraft face aux seuls deniers privés français ! Un Hovercraft qui devra beaucoup à la technique dite des « jupes souples » qui équipait le premier véhicule Bertin à coussin d’air présenté en 1961 et baptisé le « Terraplane ».
L’aerotrain sur les rails…
Humour certes, car en fait si l’aérotrain n’a jamais été développé commercialement, c’est justement peut-être parce qu’il n’empruntait pas le chemin (de fer !) traditionnel, celui des rails. Certains iront même jusqu’à prétendre que c’est parce que la famille de son épouse, les Schneider (elle est la petite-fille d’Eugène Schneider) oeuvrant dans la métallurgie et le rail, que Valéry Giscard d’Estaing enterrera définitivement le projet de l’aérotrain en juillet 1974, quelques jours après son accession à la présidence de la République. Mais revenons en arrière…
Avec une maquette présentée à Matignon au Premier Ministre Georges Pompidou en 1965, année de la création de la Société d’Etude de l’Aérotrain, et de la construction du premier prototype à l’échelle ½ qui pouvait embarquer quatre passagers, et propulsé avec un moteur d’avion.
Bien sûr, Jean Bertin a besoin de partenaires, il va logiquement se tourner vers la SNCF et la RATP. Mais personne ne veut miser un centime sur cette aventure : « Je me suis heurté à un net refus ! »
Il faut dire qu’à cette époque, personne n’imaginait les besoins futurs de liaisons rapides, moins de deux heures par exemple entre Paris et Lyon. Il faudra beaucoup de ténacité à l’ingénieur pour qu’un contrat fût enfin signé le 3 novembre 1965 entre la société de l’aérotrain et la Délégation à l’Aménagement du Territoire et à l’Action Régionale (DATAR) sous la houlette d’Olivier Guichard, ministre du général de Gaulle (et de Georges Pompidou). Enfin, des fonds publics vont venir soutenir le projet, et la concrétisation sera la création d’une ligne d’essais de 6,7 km reliant Gometz-la-Ville à Limours en Essonne en 1966, avec évidemment un premier véhicule et des vitesses sans cesse en progression : 200 km/h en février, 303 km/h en décembre, 345 km/h en novembre de l’année suivante, et 422 km/h en janvier 1969.
1969, année charnière
Les sixties vont tirer leur révérence sur quelques coups majeurs : bien sûr, c’est en 1969 que l’homme marche pour la première fois sur la lune. Mais c’est aussi l’année du premier vol expérimental du Concorde et du Boeing 747 (Jumbo jet), et du lancement des sous-marins nucléaires français le Redoutable et le Terrible.
Alors, l’aérotrain peut lui aussi entrer au club des grandes avancées technologiques du siècle. Et c’est d’ailleurs en 1969 que le premier pas vers la création d’une ligne Paris - Orléans sera franchi avec la création d’une ligne expérimentale de 18 km au Nord d’Orléans. Le 10 septembre, l’aérotrain I80 est mis sur le monorail, il franchira la barre des 250 km/h. L’inventeur Jean Bertin peut espérer, son véhicule de 26 mètres de long offrant 80 places assises fonctionne. Il sera suivi de la version S44 pour le transport suburbain.
La concrétisation suprême arrive au début des années 70 avec le projet d’un aérotrain qui devra transporter 160 passagers (à 200 km/h) entre Paris et La Défense, le nouveau quartier d’affaires… puis avec le feu vert officiel le 21 juin 1974, date de la signature d’un contrat pour une ligne Cergy – La Défense… contrat qui sera cassé trois semaines plus tard le 17 juillet : Valéry Giscard d’Estaing suspend le projet, l’Etat se désengage.
Le 8 septembre 1975, le Président de la République annonce la mise en chantier de la ligne TGV Paris – Lyon, qui sera inaugurée en 1981… par François Mitterrand !
L’aérotrain sera définitivement enterré en 1977.
Le 21 décembre 1975, Jean Bertin décède d’un cancer foudroyant, il avait 58 ans.
Enfin, en 1991 et 1992, les deux prototypes de l’aérotrain disparaîtront dans des incendies criminels à Gometz-la-Ville et Chevilly, comme s’il avait fallu que toute trace s’évaporât à jamais…
Aujourd’hui, quelques kilomètres de la ligne sont encore visible dans la Beauce, et un giratoire porte le nom de Jean Bertin (avec un élément de la voie) à l’entrée du tunnel de Gometz.
Existe-t-il encore un avenir pour l’aérotrain ?
Bien sûr, un an après le premier choc pétrolier, on pouvait peut-être justifier l’arrêt de ce projet que d’aucuns qualifiaient de fort coûteux. Mais n’est-ce pas là le point commun à toutes les grandes découvertes destinées à la vulgarisation ? On aurait pu, à ce titre, stopper l’avenir de l’aviation civile au sortir de ce premier conflit mondial qui avait mis nos économies en ruines. On peut aussi estimer que si l’aérotrain n’avait pas été abandonné, qu’après trente ans d’utilisation et de développement, la France aurait été en pointe avec cette technologie de transports par lévitation magnétique.
N’oublions pas que les simulations faites en 1965 affichaient les temps de liaisons suivants : Paris–Lyon 1h10 à 1h30, Lyon-Grenoble 20 à 26’, Lyon-Givors-St-Etienne 14 à 16’, et Paris-Orly 4 à 5’.
Quel avenir ou que reste-t-il de cette aventure ?
Le MAGLEV, train à lévitation magnétique qui détient le record du monde de vitesse sur rail avec 581 km/h. Le Japon veut investir 30 milliards d’euros dans le Maglev qui doit relier Tokyo à Nagoya (290 km) d’ici à 2020.
Mais les plus sceptiques diront que le Maglev n’est qu’un vieux serpent de mer qui ne circule aujourd’hui qu’en Chine.
Rappelons encore que les Allemands, déjà en 1969, avaient développé un train à lévitation magnétique (Siemens), le Transrapid, pour le projet de liaison Berlin-Hambourg. Tout sera abandonné avec les années 2000 eu égard au coût. Il en va de même pour la liaison de la ville de Munich avec son aéroport.
Trop cher, trop ambitieux, hors-normes, trop rapide, trop pollueur… quel espace allons-nous laisser pour que puisse se développer une culture de la découverte scientifique (et de l’intelligence !) qui permettrait, à l’instar du train, de l’automobile et de l’avion, pour ne parler que des transports, d’apporter commodités et bien être aux générations futures ? Un espace de plus en plus restreint dans lequel nous ne pourrions même plus inventer… le train, l’automobile et l’avion.
COMMENT CA MARCHE ?
Propulsion à hélice avec moteur d’avion au début, réacteur JT12 Pratt & Whitney ensuite, puis turboréacteur et double turbine Turboméca entraînant une hélice carénée pour le dernier prototype, avant l’intégration en 1969, pour la version destinée au transport suburbain à propulsion électrique, d’un moteur linéaire Merlin-Gerin.
Pour le reste, l’aérotrain se contente de glisser sur une voie de béton en T inversé de 3,40 m de large et haute de 90 cm. Son ancrage autour de la voie interdit tout déraillement, et son faible poids réduit les distances de freinage. En 1973, dans la « Revue des Chemins de Fer », on parlait de 2.300 mètres nécessaires pour stopper un TGV lancé à 250 km/h, et de seulement 900 mètres pour un aérotrain à vitesse identique.
Il faut encore préciser que l’aérotrain ne touche pas la voie (cette absence de contact supprimant toute fatigue mécanique), ce sont les coussins d’air qui prennent appui sur celle-ci, le train se déplace à quelques millimètres au-dessus de la base du T inversé. On peut donc évoquer la lévitation magnétique, soit une élévation minime dans l’espace comme délivrée de toute pesanteur !
LE CHRONIQUEUR
Les Commentaires