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Citroën ou 90 ans d’esprit créatif

15/03/2010
« Il faut aller vite. Il faut aussi aller loin, et ces deux nécessités veulent le maximum de sécurité et de confort ». André Citroën évoquait, ce jour de 1921 à l’occasion du salon auto de Paris, sa vision de l’avenir de l’automobile. Une vision que l’on dira éclairée car on ne cessera, au cours du 20e siècle, d’aller vite et loin tout en développant la sécurité et le mieux être, et ce, dans d’innombrables domaines.
La marque aux Chevrons fête cette année son 90e anniversaire, un rendez-vous marqué par la présentation de modèles conformes aux gènes de la maison, surprenantes et innovantes : C3 Picasso au printemps, C3 en cet automne, et bientôt DS3, ouverture d’une gamme nouvelle, un triptyque frappé du 3 qui rappelle les trois révolutions Citroën, la Traction Avant, la 2CV et la DS.

Des obus à l’automobile
Le 11 novembre 1918, les clairons sonnent la fin des combats sur des centaines de kilomètres de front, et en échos, ce sont toutes les cloches d’une France encore majoritairement rurale, qui carillonnent la paix retrouvée. Ce jour-là, André Citroën est dans sa quarantième année et s’est déjà fait un nom dans le monde de l’industrie, même s’il n’a pas encore mis les doigts dans l’engrenage automobile à titre personnel. Parallèle étonnant, car c’est grâce aux engrenages à chevrons en V, découverts lors d’une visite en Pologne, qu’il a débuté sa carrière d’entrepreneur.
1918, c’est un peu le 19e siècle qui s’en va rejoindre l’Histoire après avoir joué les prolongations. L’Europe va changer de monde et d’époque, beaucoup d’inventeurs et d’industriels sont déjà allés voir de l’autre côté de l’Atlantique comment se vit cette révolution industrielle qui définit les ambitions du Nouveau Monde, alors qu’une autre grande nation, la Russie, débute son interminable expérience socialiste.
André Citroën était déjà allé voir, en 1912, ces drôles de méthodes de travail mises en place par Henry Ford et surtout initiées par un certain Taylor, qui nous laissera le « taylorisme », celui-là même qui expliquait à Louis Renault, un an auparavant lors de sa visite au grand Ford, son idée de la productivité : « décomposez le travail en tâches élémentaires, étudiez l’un après l’autre chaque geste de l’ouvrier », un système de production qui permettait à Ford de proposer sa « T » à seulement 850 dollars, et qui ramenait mille clients supplémentaires à chaque baisse de 2 dollars du prix de vente de l’auto.
A cette époque, André Citroën était à la tête de la société « Citroën, Hinstin et Compagnie » qui, bien sûr, fabriquait des engrenages à chevrons en V. Et le logo de la société était un double V renversé… qui nous rappelle quelque chose.
Pour ce fils d’un diamantaire néerlandais et d’une polonaise, juifs tous les deux, et né en 1878 et qui entrera à Polytechnique en 1898, il semblait hors de question de vivre dans un train-train confortable, familial et ennuyeux. De l’aventure, du risque, de la folie pour que « la vie commence lorsqu’on navigue loin des sécurités permises » comme l’écrivit Pierre Mac Orlan dans son « Petit manuel du parfait aventurier ». Un truc à ressortir dare-dare ! Et de l’aventure, il n’en manquera pas jusqu’à sa mort à l’âge de 57 ans, juste après avoir perdu sa marque Citroën.

Une idée qui fait vite son chemin…
A l’instar de Louis Renault qui, hasard de la vie, était en même temps que lui au lycée Condorcet vers 1890, André Citroën connaîtra une fabuleuse expansion industrielle durant la Grande Guerre. Mobilisé, il proposa au Ministère de la Guerre d’intensifier la production d’obus : il en fabriquera 10.000 par jour, soit 23 millions pour toute la durée du conflit, multipliant par dix sa puissance industrielle (de son côté, Louis Renault produisit 7 millions d’obus, 500.000 fusils, 9.000 camions, 15.000 moteurs d’avion, 1.700 chars et 1.000 canons !).
Mais chacun sait que la guerre ne durera pas éternellement, et dès 1916, André Citroën songe à la reconversion de son entreprise : machines agricoles, machines à coudre comme Singer aux Etats-Unis, ou pourquoi pas l’automobile ? Il est vrai qu’il a dans son entourage un excellent ingénieur qui vient de chez Panhard, Louis Dufresne, et qu’il va faire travailler sur le développement d’une automobile, une 18 HP (pour Horse Power, 1HP = 1cv), ce même Louis Dufresne qui sera plus tard le père de la… Peugeot 203. Nous sommes en 1918 rappelons-le, et les automobiles Citroën n’existent pas.
Mais il y a toujours là, bien présent, le souvenir de ce voyage aux Etats-Unis qu’il avait effectué pour le constructeur Mors dont il était le directeur général administratif : fabriquer en grande série et à moindre coût, ce qu’il avait d’ailleurs fait durant l’effort de guerre avec les obus, et qu’il va appliquer à sa nouvelle activité : « Il faut produire vite, bien économiquement, pour mettre les produits fabriqués à la portée du plus grand nombre possible de consommateurs. » C’est dit, il va se reconvertir, absorber Mors dont les activités étaient voisines des siennes Quai de Javel.
Adieu donc la grosse 18 HP, et bienvenue à la « petite » nouvelle, la 10 HP. Et on ne perd pas de temps pour le faire savoir, dès janvier 1919, la publicité Citroën s’affiche dans toute la France, le 4 juin l’auto est exposée sur les Champs Elysées : 70 km/h, 7.000 francs, soit deux fois moins chère que la moins chère des autos de l’époque. André Citroën va proposer la première voiture de série en France, 30 Type A sont fabriquées chaque jour en 1919, il en sortira 20.000 des usines en 1920. Paris sera en cette année-là la capitale mondiale de l’automobile. Et pour vendre plus et à tout le monde, il crée la première société de crédit à la consommation, la SOVAC (Renault répliquera l’année suivante avec la DIAC), parce que l’auto ne devait plus être le mode de transport des riches, mais de tout un peuple.
André Citroën avait bien retenu la leçon d’Henry Ford et de sa « T », à savoir miser sur un modèle unique et un réseau (Ford avait déjà 7.000 concessions à travers les USA à cette époque. Et il n’hésite pas à provoquer ses concurrents lorsqu’il lance « chez nous, l’auto est encore une machine de luxe, un jouet pour riches. Demain, ce sera un instrument de travail et de plaisir à la portée de tous ! ». Cet homme parlait ainsi il y a 90 ans !

La Trèfle qui porte chance

En quelques mois, la France a changé d’époque, on l’a dit. Si on fabriquait moins de 5.000 autos en 1900, vingt ans plus tard nous sommes déjà dans l’ère de l’industrialisation automobile. André Citroën connaît son sujet, il faut fabriquer très vite en grande série et à moindre coût. Toujours la même rengaine… Alors on va faire mieux avec la 5 HP, une deux places de 5 chevaux qui, avec l’apport d’une troisième place assise, deviendra la Trèfle, la fameuse 5 CV Trèfle qui sera à l’origine des premiers clubs de fans à travers le monde, une petite Citroën que l’on baptisera également la Citron : « Citron, Citroën, double chevron, voiture champion, un p’tit cœur et une Citron » disait la publicité en 1922, année qui verra sortir 21.000 Trèfles des usines de Javel. Un succès qui sera fatal à la 10 HP qui sera reconvertie en taxis jaune et noir.

L’entre-deux-guerres et des croisières…
Cette période dite de l’entre-deux-guerres avait des airs d’insouciance, parfois d’inconscience, un peu comme si, enfin, tout allait être permis. Et les hommes en redemandaient, ils voulaient voir un monde nouveau, prometteur. L’Allemagne allait malheureusement donner le « la », la Russie était devenue communiste, Gandhi luttait contre les Anglais et l’armée nationaliste marchait sur Nankin. Il nous restait l’Exposition Coloniale, sans oublier le tango et le jazz qui venait de débarquer.
Mais parlons d’aventures…
« Et de quoi vous plaindriez-vous ? Vous n’aurez que le ciel et les sables. Le ciel et les sables sont grands. » Alexandre Vialatte dresse le décor de la première croisière Citroën, la Croisière Noire, qui partit de Colomb-Béchar le 28 octobre 1924, pour finir à Madagascar, Tananarive et Tuléar, entre juin et septembre 1925. André Citroën montrait ses autochenilles au monde entier. Il recommencera en 1931 avec la Croisière Jaune entre Pékin et Beyrouth, il y aura encore une Croisière Blanche en Alaska en 1934. Encore un triptyque.
L’entre-deux-guerres fut une époque de communication intense pour la marque, notamment avec cette célèbre publicité sur la Tour Eiffel qui nécessita 250.000 ampoules et 600 km de câbles afin que le nom de Citroën scintillât de mille feux de 1925 à 1933. Epoque de technologies nouvelles également, et là encore, André Citroën mena la réforme au son du canon avec l’auto tout acier (sous licence américaine) : jusqu’en 1925, toutes nos automobiles avaient un squelette en bois recouvert de tôles. L’armature en acier allait révolutionner l’industrie.
En 1924, Citroën deviendra le deuxième constructeur mondial avec une production atteignant 4.000 automobiles/jour. Très vite, le constructeur ouvrira d’autres usines, à Clichy, Saint-Ouen et Suresnes avec un total de 30.000 ouvriers.

Deux fins à l’histoire provisoire…
Cette période aura deux fins, l’une heureuse, l’autre tragique. Mais d’abord la bonne…
En 1932, l’ingénieur Lefebvre propose à Louis Renault de fabriquer une automobile à traction avant : motricité sur les roues avant, disparition de l’énorme arbre de transmission, d’où un centre de gravité plus bas, une meilleure adhérence au sol et une stabilité en courbe parfaite. Pas mal d’avantages, l’idée était séduisante, mais l’ingénieur ne sera pas suivi, il sera même viré. Et c’est Citroën qui le récupère et adopte son projet. Bien sûr, c’est au pas de charge que l’affaire sera menée, Javel mettra les bouchées doubles, le patron veut présenter l’auto au Salon de Paris en 1934.

L’année 1934
Le 24 mars, il convoque ses concessionnaires pour leur montrer sa révolution : la Traction Avant. C’est « l’automobile de demain » dira la presse après l’avoir vue en avril, et à l’automne, au Salon Auto, Citroën présentera la 7, la 11, ainsi que la 22 (avec un gros V8), mais qui ne sera jamais commercialisée. Autant dire que le succès populaire fait partie de l’histoire.
Mais on l’a dit, 1934 sera également l’année de tous les dangers pour les Chevrons. Depuis toujours, le constructeur a connu des problèmes de trésorerie. André Citroën n’est pas un comptable, loin s’en faut. D’après la Banque de France, les pertes s’élèveraient à 200 millions de francs. Dans un premier temps, la famille Michelin vient aider le constructeur. Mais cela ne suffit pas. En décembre, c’est la fin, l’Etat lâche Citroën, la liquidation judiciaire est prononcée le 21 décembre, l’action tombe à 52 francs, elle en valait plus de 2.000 en 1930.
Le 11 janvier 1935, le fabriquant de pneumatiques de Clermont-Ferrand devient le principal actionnaire des automobiles Citroën, Pierre Michelin demandera même à André Citroën de quitter son bureau du Quai de Javel.
Malade depuis quelques mois, il tente de rebondir, envisage même de construire une automobile électrique avec Bugatti, mais déjà on se heurtait au problème de recharge des batteries ! Considérablement affaibli, il meurt le 3 juillet 1935 d’un cancer de l’estomac. Il n’avait que 57 ans. Une vie courte mais incroyablement remplie.
En 1976, les automobiles Citroën passent sous le contrôle de Peugeot, on verra apparaître ensuite l’appellation PSA.

Un mot d’ordre : inventer !
Le premier à fabriquer une auto en grande série sur le vieux continent, la première société de crédit à la consommation, les premières publicités choc et de masse, la première traction avant, les suspensions hydropneumatiques, les premiers raids tout terrain en Afrique et en Asie, et des garages souvent à la pointe de l’avant-gardisme en matière d’architecture. C’est tout cela l’esprit créatif Citroën, une aventure de près d’un siècle dont le principal acteur n’aura finalement connu que les quinze premières années. « Le mouvement que nous appelons dans notre langage barbare « locomotion », s’affirme de plus en plus comme un besoin illimité de l’homme » disait André Citroën en 1921. Se trouverait-il encore aujourd’hui un grand patron pour reprendre à l’identique cette phrase prononcée au début du 20e siècle ? A votre avis ?...
Photos Automobiles Citroën

LE TRIPTYQUE MAISON

Trois autos marqueront à jamais l’histoire de la marque sur trois décennies, les années 30, 40 et 50, dates de leurs mises en production.
On vient d’en parler, les années 30 coïncident avec la naissance de la Traction Avant en 1934, une auto qui fut disponible en berline, faux cabriolet et roadster, et dont la vie s’achèvera le 25 juillet 1957 avec la sortie de la dernière Traction des usines du Quai de Javel. En 7, en 11 ou en 15 (avec le 6 cylindres), la Traction connaîtra un destin exceptionnel, que malheureusement, André Citroën ne partagera pas. Au total, la marque produira 759.123 et 620.455 exemplaires des 7 et 11, et l’auto aura sa part de légende : utilisée par la Milice, puis par les FFI à la Libération, elle sera aussi ensuite la voiture préférée des bandits et de la police.

Cinq millions et quelques…
Tout débute en 1935 lorsque Michelin prend le contrôle des Automobiles Citroën et applique une logique de base dans le business : pour vendre plus de pneumatiques, il faut vendre plus d’autos : élémentaire ! D’où la naissance du projet TPV ou Toute Petite Voiture. Le premier prototype sortira de l’usine de Levallois en 1937 : phare unique à gauche, carrosserie en aluminium, ailes en acier, pas de clé mais une manivelle pour mettre l’auto en marche, et bien sûr cette suspension à huit barres de torsion. L’auto sera prête pour le Salon de l’automne 1939… salon annulé pour cause de guerre !
Il faudra quasiment patienter dix ans pour assister à la première présentation officielle de la 2CV au Grand Palais à l’occasion du Salon Auto de 1948 : moteur bicylindre à plat de 375 cm3, 9 chevaux, 60 km/h en pointe, 5 litres aux 100 km, une boîte 3 vitesses, et une couleur : du gris. Les Français aimeront tout de suite cette drôle de 2CV.
EN à peu près quarante années, Citroën fabriquera plus de 5 millions de 2CV, l’ultime « Deuche » sortira des chaînes au Portugal le 27 juillet 1990.
« Ceci n’est pas une voiture, c’est un art de vivre » pouvait-on lire sur certaines malles de 2CV. Un art de vivre qui a souvent été synonyme de première voiture d’après permis pour nombre de jeunes durant ces mêmes années. Une voiture et un cabriolet à la fois !

L’autre révolution

Paris, 1er octobre 1955 au Grand palais, la révolution est en marche sur le stand Citroën du Salon Auto : la DS remplace l’illustre Traction. En une journée, l’automobile française a changé de siècle, un journal spécialisé écrira même, « voici la voiture la plus compliquée jamais fabriquée dans le monde. »
On peut le dire, cette auto à la forme plongeante, avec son toit en plastique et son architecture « avec une roue à chaque coin » démodait le reste du peloton. Même à l’intérieur, la DS était unique par son style sculptural. On pouvait enfin parler d’ergonomie.
L’autre révolution de la DS était bien sûr technologique. Là encore, la marque jouait un coup d’avance sur la concurrence avec sa fameuse suspension  hydropneumatique, avec les freins avant à disque suspendus et la direction assistée, un domaine où Citroën ouvrait la voie en Europe dès 1955.
La DS était à l’aise en toutes circonstances et dans tous les pays. De 1955 à 1975, ce sont quelque 1.456.115 unités qui furent produites, on retrouvera même l’auto en compétition, gagnant à deux reprises le mythique Monte-Carlo, en 1959 et 1966.
Née dans un contexte morose, elle contribua à donner une image novatrice à un pays qui était à l’aube d’une nouvelle ère industrielle, sociale et économique. L’histoire s’arrêtera en avril 1975 avec la production des ultimes DS23.industrielle, sociale et économique. L’histoire s’arrêtera en avril 1975 avec la production des ultimes DS23.

 


­(Note : à lire, le passionnant livre d’Alain Frèrejean, « André Citroën, Louis Renault, un duel sans merci », chez Albin Michel, paru en 1998).

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