Trollhättan la besogneuse
Bien à l’abri de la forteresse d’Ekholm, la ville, dont les premières mentions officielles datent du début du 15e siècle, s’est développée grâce à une ressource naturelle, celle de l’eau, ou du moins grâce à son utilisation à outrance : les chutes de Trollhättan furent abondamment exploitées, donnant naissance à un bourg industriel. Lorsque la société SAAB fut créée sous l’impulsion du gouvernement suédois désireux de posséder une industrie aéronautique de pointe, c’est le site de Trollhättan qui fut choisi à l’Ouest de la Suède, dans le comté de Västra Götaland. La ville des cascades et des écluses forte d’environ 40.000 habitants pouvait entrer une première fois dans l’histoire. La seconde fois sera totalement décalée par rapport au passé industriel local, à partir des années 90 Trollhättan va devenir une sorte d’Hollywood scandinave, de nombreux films sortiront des studios de « Trollywood », l’un des derniers fut tourné par le réalisateur Lars Von Trier. Mais on l’a dit, c’est une autre histoire…
Vite, un garage !
A la fin des années 40, la guerre a laissé ses cicatrices un peu partout dans le monde. Chez SAAB on a compris qu’il fallait trouver d’autres débouchés, les avions et l’armement n’étant plus les préoccupations premières des Suédois. Alors on créé en 1945 une branche automobile, histoire de ramener sur terre ce qu’on sait faire dans les airs. Et l’aventure va durer soixante ans, soixante années d’innovation, d’intelligence, de design spécifique, ce genre un peu à part qui fait qu’une Saab n’est jamais une auto comme les autres. C’est en 1947 que sera présenté le premier modèle la « 92 », une auto que le constructeur eut beaucoup de mal à sortir dans les délais, notamment à cause de la pénurie d’acier en Europe. Alors, afin de faire patienter ses futurs clients, l’avionneur-garagiste confie ses vingt premiers modèles à la Poste, une excellente idée côté visibilité du produit, bref, un bon coup de marketing dirait-on aujourd’hui. Il faudra attendre décembre 1949 pour que cette Saab 92 au profil d’aile d’aéroplane (on ne se refait pas !) entame sa carrière commerciale. L’auto plait, c’est un succès.
Cette 92 sera suivie à partir de 1956 par le 93, équipée d’un moteur 3 cylindres, et par la 94, version cabriolet qui restera au catalogue jusqu’en 1974 !
De l’Europe aux Etats-Unis
Depuis le début, les dirigeants de SAAB avaient un œil sur le marché nord-américain où peu d’Européens ont réussi un hold-up. Ils tentent leur chance dès 1958 avec la 750 GT équipée d’un moteur à deux temps, puis avec la 96 en 1960, un modèle qui sera produit durant vingt ans et qui accueillait sous son capot l’illustre 4 cylindres de Ford qui fit le succès en Europe d’une certaine Taunus. C’est aussi l’époque où la firme suédoise brille sur les rallyes, notamment au Monte Carlo, et c’est celle de la fusion avec Scania qui produit des véhicules industriels et des moteurs diesel. Un choix dicté par le développement futur.
Plus près de nous, Saab a encore conçu la 9-2X en 2004 pour ce même marché nord-américain, une auto qui empruntait beaucoup à la Subaru Impreza, avant de se lancer dans le genre SUV grâce au 9-7X, commercialisé de 205 à 2009, un gros 4X4 avec « pack us », à savoir, entre autres,des V8 de 300 et 390 chevaux.
Quand un mythe est né
1967, c’est le tournant pour la marque qui va petit à petit concevoir une auto mythique. Cela débute timidement avec la nouvelle 99, qui sera d’ailleurs la première auto grand public à recevoir un moteur turbo en 1977, une 99 qui deviendra la 900, l’icône, la voiture des bobos d’avant l’heure, celle dont on dit aujourd’hui qu’elle est « la seule vraie Saab ».
Nous sommes en 1978, cette 900 sera déclinée en 2, 3, 4 et 5 portes, puis en cabriolet en 1986, elle fut l’œuvre du designer maison Björn Envall, elle fera la réputation internationale de la petite entreprise suédoise. L’histoire raconte que les concepteurs avaient pensé à tout, y compris au climat local, des surfaces faciles à déneiger et des commodos utilisables même avec des moufles ! Elle sera commercialisée jusqu’en 1994, et recevra en 1993 un premier 6 cylindres.
Entre temps paraîtra la 9000 dessinée par Giugiaro (1984).
Le chemin est tracé, il ne reste plus qu’à découvrir les Saab des années 90 et 2000, la 9-3 et la 9-5… et c’est peut-être là que l’aventure a commencé à coincer : l’absence d’une gamme complète, à l’instar du compatriote Volvo qui a su se renouveler, une gamme qui aurait multiplié la clientèle potentielle.
La force de l’innovation
Pourtant, le constructeur n’a jamais manqué un rendez-vous de l’innovation, empilant les premières au fil des décennies : 1962, la ceinture de sécurité de série sur tous les modèles ; 1969, l’allumage automatique des phares ; 1978, le filtre à pollen ; 1983, les plaquettes de freins sans amiante ; 1992, la climatisation sans CFC ; 1997, les sièges ventilés ; 2007, alerte vigilance qui analyse les yeux du conducteur avec des caméras, et on l’a dit, 1977, le premier turbo sur une auto grand public. On pourrait également rappeler le positionnement en pointe du suédois sur l’éthanol avec sa fameuse Saab BioPower, et on sait aussi que l’hybride est dans les cartons de la maison.
Beaucoup de changements
Né de la volonté d’un avionneur, le constructeur automobile Saab, qui s’était associé à Scania, a vécu d’autres changements avant celui du 26 janvier dernier. Au début des années 90, le Groupe Saab Technologie (aéronautique, défense, sécurité civile) se sépare de Saab Automobile qui se retrouvera très vite dans l’escarcelle de General Motors. Mais GM va mal, alors on mutualise à outrance, Saab et Opel seront assemblées dans l’usine allemande de Rüsselsheim, on fait plate-forme et moteurs en commun. Et fin de l’histoire avec cette vente au hollandais Spyker cars en janvier 2010, et ce après de longues négociations avec un autre éventuel repreneur, un suédois, Koenigsegg, spécialiste de voitures haut de gamme, qui retira son offre en novembre dernier.
Forte personnalité, affirmation de sa différence, individualisme du style, et, on l’a dit, absence d’une véritable gamme, c’est un peu tout cela l’exception de Trollhättan. Mais dans ce monde d’uniformité, l’exception n’a plus sa place…
S. Wagner
LE CHRONIQUEUR
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