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L’industrie automobile au frein à main

05/07/2010
D’Abarth à Zil, le premier célèbre pour ses préparations sportives, le second, constructeur russe totalement inconnu chez nous mais qui fabrique un limousine de 7700 cm3 équipée d’un V8, genre machine de guerre monstrueuse, d’Abarth à Zil ou de A à Z le monde de l’automobile est en train de vivre l’une de ses plus importantes mutations depuis sa création, et peut-être la plus radicale depuis sa démocratisation au sortir de la seconde Guerre Mondiale, certainement plus significative qu’au moment du choc pétrolier qui l’ébranla au début des années 70.
En fait, la rencontre entre la crise mondiale et le tsunami écolo poussé à l’extrême, voire à l’idiot, produit une onde sismique que l’Echelle de Richter ne pourrait enregistrer, mais que toute la filière auto, des constructeurs aux distributeurs en passant par les sous-traitants (et même la presse spécialisée), ressent depuis plus d’un an secousse après secousse.

Changement de cap
Qu’on se rassure, le rêve fait toujours partie du décor, et le Salon de Genève qui s’est déroulé durant la première quinzaine de mars n’avait pas convié la morosité sur ses stands, contrairement à l’an passé. Bien au contraire, l’esprit était conquérant et les nouveautés, surtout emmenées par les constructeurs germaniques, n’avaient rien d’autos seulement utiles et banales. Certes les solutions dites alternatives étaient présentes dans toutes les maisons sérieuses, mais en partage d’espace avec les versions classiques des moteurs thermiques. Pour ce qui est des nouveautés du Salon, nous vous invitons à les découvrir brièvement dans notre encadré spécial Genève.
Au-delà de cette fameuse prise de conscience sur le sauvetage de la planète qui a aussi engendré d’incroyables exagérations synonymes d’autant de mesures coercitives parfois inappropriées, voire stupides, le fond du bouleversement unique que vit le monde automobile est avant tout d’ordre économique. Si on voulait faire court, voici comment exposer le problème : les enfants du baby-boom qui ont fait les grandes et belles heures de l’expansion automobile, ont débuté dans le monde du travail avec des salaires confortables (souvent à l’époque autour de 10.000 francs), salaires qui pouvaient atteindre 20.000 ou 30.000 francs vingt ans plus tard. On avait alors les moyens de s’offrir un Range Rover ou une belle « Béhème ». Aujourd’hui, le même jeune débute à 1100 euros, avec une prévision à 1300 euros dix ans plus tard, voire 1500 euros. A 45 ans, il s’offrira une… Logan !
Les constructeurs, qui sont aussi des financiers, ont bien enregistré ces changements. Ils ont compris que la salut était, sinon dans le « low cost », du moins dans une offre en adéquation avec le pouvoir d’achat actuel.
Il faut dire également que la montée en gamme fut aidée par un crédit qui s’allongeait dans le temps, le consommateur passait allègrement d’un achat à 15.000, puis 20.000 et enfin 30.000 euros sans vraiment changer sa charge mensuelle de remboursement, le crédit passant de 24 à 60 mois.
Les habitudes de consommation ont changé ces deux dernières années, l’argent du ménage est désormais réparti différemment, et l’auto ne tient plus la même place qu’avant. Est-ce à cause de la crise ou est-ce ce changement « spontané » qui a généra la crise de l’automobile ? Qui a commencé, l’œuf ou la poule ? Mais n’oublions pas que l’on consomme aussi de la téléphonie, de la communication, des loisirs, et que se loger coûte horriblement cher. Et revoilà le séisme évoqué plus avant.
Quelques chiffres pour la route
Tout est allé très vite, nous l’avons évoqué dans ces mêmes colonnes auparavant, le matraquage initié par le Grenelle de l’Environnement et les effets collatéraux de la crise ont plombé les marges du secteur automobile qui aura abandonné en 2009 en France quelque 54.000 emplois, dont 35.000 chez les seuls fournisseurs et sous-traitants. Et on parle de 50.000 emplois menacés dans ce même secteur en 2010. Le paradoxe est aussi du voyage : lorsque les immatriculations de voitures neuves flambent avec + 10,7% en France en 2009, dans le même temps, la production hexagonale des constructeurs français diminue de 15,3%. Les bonnes ventes auront principalement été faites avec des autos fabriquées en Europe de l’Est (Twingo, 107, C1, Clio, Logan…).
Sur le plan mondial, la production a chuté de près de 15% l’an passé, retombant au niveau de 2003 avec 47 millions d’unités, certains pays comme le Japon et les Etats-Unis faisant de très mauvaises affaires avec une baisse de plus de 30% de leur production. De son côté, l’Europe a limité la casse grâce aux nombreuses aides et incitations, le repli fut de 13%.  Seul marché en pleine forme, celui de la Chine qui frime avec + 30%. On notera   ­+ 17,9% de production en Inde, et + 18,2% en Roumanie, là où on fabrique la Logan et la Sandero.
Il y a quelques jours, Renault et PSA annonçaient leurs résultats 2009, le premier enregistrant une perte de 3,1 milliards d’euros, le second de 1,1 milliard, avec des chiffres d’affaires en chute de 11%.
Lors du Salon de Genève, les deux patrons, Carlos Ghosn pour Renault et Philippe Varin pour PSA, ont fustigé ouvertement le système français, accusant les coûts de fabrication prohibitifs en comparaison de ceux de nos voisins : « L’Allemagne a beaucoup travaillé sur ses charges alors que nous ne l’avons pas fait » expliquait un Carlos Ghosn très remonté.

L’exemple Volkswagen

On pourrait être tenté de parler plus simplement de l’exemple allemand eu égard à la présentation pléthorique de nouveautés à l’occasion du 80e Salon Automobile de Genève, et ce face au maigre butin des constructeurs français, italiens, et même japonais. Mais il est vrai aussi, que le Groupe Volkswagen aura connu une année faste en 2009, prenant par là même, et pour la première fois, la tête du classement mondial des constructeurs avec 5,9 millions d’autos produites, devançant Toyota culminant à 5,6 millions d’unités (- 1,7 million), constructeur occupé il est vrai par ses problèmes de rappels à répétition.
Fort de ses quatre marques généralistes, VW, Audi, Skoda et Seat, le géant allemand enchaîne en reprenant 20% de Suzuki, juste après avoir racheté fin 2009 49,9% de Porsche, qui il y a à peine deux ans avait des velléités de rachat sur… Volkswagen : l’arroseur arrosé ! On peut aussi rappeler que Bentley, Bugatti et Lamborghini font déjà partie du Groupe, tout comme Man et Scania pour la branche camion.
La force de l’Allemand est bien sûr à trouver dans la mutualisation : moteurs, châssis, plateformes, électronique embarquée et autres équipements servent aux quatre marques généralistes. D’autres constructeurs pratiquent cette mutualisation, mais à un degré moindre.

Le cas Renault

« Il faut réduire les coûts, dont la masse salariale, et se préparer pour l’après crise » dit-on chez Renault, rappelant que le monde d’après crise n’est pas celui d’avant la crise. Elémentaire. On l’a compris, après lecture d’une perte colossale on serre les boulons à bloc et on prépare l’avenir… électrique, le Français étant parti à fond les manettes sur ce créneau. D’ailleurs, hormis une version cabriolet de la Mégane, le stand Renault à Genève fonctionnait à l’électricité.
On se souvient que Carlos Ghosn fut violemment critiqué il y a quelques semaines (et même convoqué à l’Elysée !) à propos de la future Clio 4 qui sera fabriquée en Turquie. Mais comment peut-on faire semblant de tout ignorer soudainement ? La plus grande usine Renault est à Bursa en Turquie, à 3.500 km de Billancourt et de la cabane en bois où Louis Renault assemblait ses premières autos. En fait, seulement 20% des Renault sont assemblées en France, contre 60% il y a dix ans. Mais dans le même temps, Renault a pris 44% de Nissan et a racheté Dacia pour vendre une auto dans le monde entier. La progression de l’ex-marque roumaine n’est pas due au hasard, depuis 2006, le prix moyen des voitures neuves achetées par les Européens a baissé chaque année. D’où le succès de la Logan et de Sandéro, et pas seulement en France, mais sur tout le Vieux Continent. En ce sens, Dacia est une marque très moderne car en adéquation avec la demande actuelle.
Alors, qui peut aujourd’hui critiquer le constructeur français dans sa politique de développement du « low cost », politique menée certes avec Dacia, mais également avec la maison mère, Fluence qui vient de sortir n’est-elle pas une sorte de Laguna low cost ?
En fait, la grande interrogation concerne la stratégie retenue pour les dix prochaines années avec une mise banco sur l’électrique quand la concurrence répond hybride. Il faudra que l’intendance suive, à savoir les batteries plus performantes, les stations de recharge, sans oublier des coûts d’achat attractifs. Aujourd’hui, la solution électrique a son avenir en ville avec des professionnels (comme pour la livraison) et les collectivités. Il ne sera pas aisé de vendre aux particuliers des autos 100% électriques avec les autonomies actuelles.

Où va le marché ?
L’année 2009 fut excellente en France côté ventes de voitures neuves (alors que le marché de l’occasion s’est écroulé) avec + 10,7% par rapport à 2008, on a même eu un pic incroyable de + 48,6% en décembre à cause des primes à la casse. Mais ne serait-ce pas l’arbre qui cache la forêt ? Qu’a-t-on vendu et avec quelles marges ? Là est l’essentiel, tout en sachant également que les ventes de 2009 ne sont plus à faire et que les quelque 300.000 autos supplémentaires commercialisées (sur un total de 2.268.730) sont issues de primes et incitations gouvernementales et des constructeurs. On ne les refera pas en 2010.
Et qu’a-t-on vendu ? De la petite voiture majoritairement, française et étrangère, donc des produits qui génèrent peu de marges (et beaucoup moins de taxes pour l’Etat !).
Bien sûr, les constructeurs ne lâchent pas leurs réseaux, mais on sait qu’un concessionnaire GM préfère vendre une Opel Insignia plutôt qu’une Chevrolet Matiz, un Grand Vitara plutôt qu’une Alto chez Suzuki, une 3008 à la place d’une 107 chez Peugeot, et ainsi de suite. Les marges font les investissements et les emplois… et encore des taxes pour l’Etat.

L’auto ringarde !
Mais c’est dit, l’auto de 2010, de 2015, ne sera pas celle des années passées. Oui, il y aura toujours des clients pour le haut de gamme, mais c’est entre 20.000 et 30.000 euros que le coup a porté, c’est ce client qui a changé ses habitudes, délaissant le produit plaisir pour un produit utile. Il faut aussi reconnaître que les pouvoirs publics ont mis le paquet pour tuer la poule aux œufs d’or ou pour se tirer une balle dans chaque pied : l’automobile est devenue, en peu de temps, source de Mal Absolu : elle pollue la planète, elle tue, on a donc mis en place une batterie de mesures encore plus coercitives afin de traquer sans répit les voyous avec les radars-machines à sous. De plus, elle est ringarde, limite beauf, c’est tellement plus « fun » de se déplacer à vélo… au cœur des villes bien sûr. Faute de quoi il vous reste un RER pourri ou un bus glacial.
Alors, de peur du gendarme et pan-pan-cul-cul des donneurs de leçons en passant par les effets d’une crise et l’envie de dépenser ses sous autrement, l’automobile a mis le frein à main. Et bien malin celui qui peut prédire l’évolution sur les dix prochaines années. On roulera toujours, très majoritairement à l’essence et au gasoil, les plus aisés passeront à l’hybride pour s’acheter une conscience écolo, la solution électrique trouvera sa place auprès des professionnels et dans les villes, mais il paraît certain que la note moyenne risque encore de baisser, les constructeurs le savent et se préparent à cette nouvelle donne, car il va bien falloir apprendre à vivre avec des marges à la baisse. Ce qui ne manquera pas de tuer les plus fragiles (on vient de le voir avec Saab et Hummer), de générer des rapprochements pour une meilleure mutualisation des coûts de fabrication, et certainement d’accentuer les politiques de délocalisation, même si un Président de la République fustige le fait qu’une auto fabriquée à l’étranger par un constructeur français soit ramenée en France pour y être vendue à un client français.
Ne soyons pas stupides dans notre analyse de la situation, plus nous voudrons acheter pas cher et encore moins cher, plus il faudra fabriquer pas cher, encore moins cher. Et ce n’est pas à Flins, à Poissy ou à Rennes que l’on diminuera les coûts massivement. Ou alors on accepte de redevenir sérieux en acceptant de payer « le prix juste ». Mais sérieux des deux côtés. Car il faut bien reconnaître que les constructeurs ont également bien profité de l’effet crédit qui rendait les autos abordables sur 48 ou 60 mois… au lieu de 24, et permettait de masquer des tarifs quasi-prohibitifs.
L’industrie automobile fait partie des quelques rares fleurons encore en vie chez nous, n’organisons pas son démantèlement sous la houlette de quelques lobbies écolo qui savent parfaitement obtenir ce qu’ils veulent, le plus souvent au détriment de 90% de la population.

Fernand Hurt

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