Les sixties façon Ceausescu
Lorsque la Chine s’éveillait à la Révolution Culturelle en 1966, le Roumain Ceausescu devenait Premier secrétaire du parti des travailleurs en pleine guerre froide. Mais il serait non aligné, promis juré, on viendra d’ailleurs l’en féliciter de tout l’Occident, ainsi le Général de Gaulle se fendit même d’un discours en roumain sur le tarmac de l’aéroport de Bucarest lors de sa visite au « Géant des Carpates » en mai 1968. Avec l’arrivée de celui qui règnera en maître absolu sur la Roumanie jusqu’en décembre 1989, le pays vécut un autre événement majeur cette même année 1966 : la construction d’une usine automobile gigantesque près de Pitesti à une centaine de kilomètres de Bucarest sur les contreforts des Carpates. Si la ville d’environ 170.000 habitants allait devenir célèbre grâce à ses autos Dacia au cours du 21e siècle, elle restait quand même sur une mauvaise impression à cause de sa prison où le lavage de cerveau était une spécialité à la fin des années 50, en pleine période de purges politiques post-staliniennes. On n’était pas de l’autre côté du Rideau de Fer pour rien !
C’est bien d’avoir une usine, mais il faudra également trouver un partenaire pour fabriquer des autos. Plusieurs se mettront sur les rangs, Fiat bien sûr, déjà présent en Europe de l’Est, mais aussi Peugeot, Ford, Morris… mais c’est finalement avec Renault que l’entreprise roumaine signera un accord de coopération.
La première Dacia 1100 sera un dérivé de la R8, la suivante, la 1300, qui sortira en 1969, était une R12 plus vraie que nature… mais de l’Est. Elle fera un tabac durant de nombreuses années, on en trouve encore beaucoup en taxis dans les grandes villes roumaines et hongroises. Il n’y aura jamais de R18 façon Dacia, mais quelques R20 sous l’appellation Dacia 2000, des autos qui servirent à la Securitate, la police politique de Ceausescu. Les années 90 seront celles de Nova et SuperNova (bases de R9 et R11), une page allait être tournée à l’aube de l’an 2000…
Et voici Renault
En 1999 exactement, le constructeur français, à la recherche d’une base à l’Est pour une conquête future de marchés émergents, se focalise sur le roumain après avoir regardé du côté de Skoda quelques années plus tôt, la marque tchèque que le Groupe Volkswagen va avaler tout cru (ou tout cuit, c’est selon !). Va donc pour la Roumanie. Le 29 septembre 1999, Renault rachète 51% de Dacia pour 50 millions de dollars, soit quasiment un million le pour cent !
La prise en main ira vite, 73% du capital fin 2000, puis 92% en 2001 et 99,3% en 2003. Pour mémoire, on précisera que Dacia produisait, à l’époque de la prise de contrôle par le Français, quelque 100.000 autos par an avec environ 30.000 salariés (100.000 autos/an c’est ce que produit le site Renault en Turquie avec seulement 3.000 ouvriers). Il faut dire qu’à Pitesti on faisait tout, y compris les bouches d’égouts de l’usine.
Et voilà Logan
En 1999, Dacia fournissait 80% du marché roumain, puis tombait à 40% en 2002. Mais une révélation couvait… Le 2 juin 2004, Dacia présentait Logan, et dans la foulée, le 9 septembre, l’auto était commercialisée dans le pays. Dacia vendra 22.000 véhicules cette année-là, mais 135.000 l’année suivante grâce à Logan !
« Soyez logique, soyez Logan », le slogan n’allait pas tarder à nous tomber dessus en France, et le 9 juin 2005, Logan était officiellement commercialisée chez nous. Pas plus de 10.000 voitures par an sur le marché national nous avait-on dit à l’époque, il ne fallait pas cannibaliser Renault. On sait ce qui est arrivé par la suite, en 2009, Dacia a vendu 66.000 autos sur notre marché tous modèles confondus (et on pourrait bien être à 100.000 fin 2010 avec le nouveau Duster !), intégrant au passage le top 10 des marques. Et nous ne sommes pas les seuls à vivre cette « Daciamania » : le premier marché européen est l’Allemagne (eh oui !) avec 84.875 Dacia vendues en 2009, suivent la France (66.531), la Roumanie (41.862) et l’Italie (21.754). L’auto destinée aux marchés émergents fonctionne également ailleurs, notamment au Maroc, en Algérie et en Turquie.
Un bon placement
50 millions de dollars pour la première mise au pot, 57 millions d’euros, ce furent les premiers bénéfices six ans plus tard avec un chiffre d’affaires de 1,2 milliard d’euros.
De 2004 à 2008, Dacia aura vendu 1,3 million de Logan et de Sandero, le deuxième modèle de la gamme qui sera vite un best seller en Europe.
Mais 2008 c’est aussi l’année d’une longue grève à Pitesti (où tout est quasiment fait à la main, ce qui revient bien moins cher que l’automatisation). Les ouvriers réclamaient alors une augmentation mensuelle de 150 €, le salaire brut moyen était de 380 € : « Des autos low-cost fabriquées par des ouvriers low-cost », le slogan fit le tour de l’Europe.
Aujourd’hui, la gamme comprend six modèles, Logan, Logan MCV (break), Logan Van, Logan pick-up, Sandero et Duster, le 4X4 qui vient d’être commercialisé en France (voir notre essai dans cette édition).
Dacia c’est 311.874 véhicules vendus dans le monde en 2009 et une progression de 20,7% par rapport à 2008. En Roumanie, la marque totalise 28,8% de parts de marché, elle progresse également fortement au Maghreb. Sur certains marchés, les Dacia sont commercialisées sous le nom de Renault, il en va ainsi de « Duster Renault » qui vient d’arriver à Madagascar.
A l’instar de Volkswagen qui a réussi la greffe sur Skoda il y a bientôt vingt ans, mais en transformant une marque moribonde en généraliste aujourd’hui reconnu et respecté dans toute l’Europe, Renault compte bien aller au succès de manière pérenne avec Dacia, mais sur un autre marché, celui du low-cost pour des pays émergents… mais aussi sur les marchés occidentaux où l’achat d’une automobile ne répond plus forcément aux critères d’il y a deux ou trois ans.?
Reste à savoir comment va se comporter « le reste du monde », là où les volumes sont à faire et là où la concurrence va devenir de plus en plus impitoyable avec les constructeurs indiens et chinois capables de sortir des autos à 5.000 €. Et comment va bouger le marché européen, car à trop vendre des Dacia chez nous, on finit par moins vendre de Renault…
Photos constructeur
LE CHRONIQUEUR
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