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Madagascar, le puissant sortilège rouge issu de la latérite des Hautes Terres…

05/07/2010
Un territoire tout en longueur grand comme la France et la Belgique pour un peu plus de 18 millions d’habitants, des paysages d’une rare diversité proposant des plages interminables, des rizières, des montagnes (ici on culmine à 2.886 mètres sans jamais voir la neige !), la brousse ou la savane, les forêts de baobabs, une richesse exceptionnelle de l’agriculture aux mines de diamants, et pourtant un tourisme quasiment en berne sur cette île-continent de l’Océan Indien détachée du Sud-Est de l’Afrique au large du Mozambique. Madagascar navigue en pleine décroissance car personne ne tient la barre au milieu des vagues de contestation et changements de pouvoir, en fait ce bateau ivre ne semble intéresser personne, y compris la France pourtant historiquement présente ici… du moins jusqu’à l’indépendance de juin 1960.

Acte manqué
Il y a quelques jours, le Président Sarkozy est allé souhaiter la bonne année à la Réunion et à Mayotte, dommage qu’il n’ait pas songé à faire une halte à Tananarive puisqu’il a survolé Madagascar à l’occasion de ce voyage. Dommage, car il aurait pu demander aux différentes mouvances politiques qui ont pour mission, comme mandat leur a été donné après l’éviction du Président Ravalomanana en janvier 2009, de gérer les affaires courantes au sein de la Haute Autorité de Transition (HAT) chargée de préparer les futures élections, élections que l’on ne peut souhaiter que démocratiques. Dommage encore, car au nom de la France, gros pourvoyeur d’aides à Madagascar, et au nom de l’Europe, le Président Sarkozy aurait pu faire monter d’un cran les exigences de dialogue face aux diktats du Président de la HAT Andry Rajoelina, qui semble vouloir s’accrocher à un pouvoir que le peuple ne lui a jamais confié. Mais nous reviendrons plus loin sur cette situation politique…

De la présence française
Elle remonte timidement à la fin du 15e siècle, puis de manière plus officielle au milieu du 17e siècle lorsque Colbert voulut offrir Madagascar au Roi. On y ouvrit le premier comptoir à Fort Dauphin, et c’est la France orientale que le royaume désirait bâtir en plein Océan Indien : quatre navires, cinq cents hommes, des paysans et des artisans… nous étions en 1665, mais il fallut plier bagages dès 1674 et attendre le 19e siècle pour que les Français s’intéressent à nouveau à l’île, comme ils s’intéressèrent également au continent africain. A partir de 1865, Grandidier entame une exploration minutieuse (et subventionnée) du royaume indigène de Madagascar. Et ce qui devait arriver arriva, l’île est annexée après une courte révolte, la reine Ranavalona III ayant fait hisser le drapeau blanc après le premier coup de canon tiré sur Tananarive en 1895. Le royaume local est aboli et c’est Gallieni qui devient le premier Gouverneur. Il restera jusqu’en 1905. Sous son impulsion, l’île sera pacifiée, une véritable administration sera créée, et de grands chantiers amèneront le train, des routes, des ponts, il fera développer les cultures et l’exploitation des mines, et bâtira des écoles, on verra même débarquer l’Institut Pasteur. La colonisation enrichit l’île, les exportations étant supérieures aux importations.
De 1946 à 1958, Madagascar sera Territoire d’Outre Mer, mais très vite les velléités d’autonomie se feront jour sitôt la seconde Guerre Mondiale achevée. Rappelons que l’île fut alors occupée par les Britanniques et les Sud-Africains. Rien n’est gratuit en ce bas monde… L’année 1947 sera l’une des plus sanglantes de l’histoire nationale : insurrection et répression de l’armée, on parlera de dizaines de milliers de morts. Lors de sa visite à Tananarive le 21 juillet 2005, Jacques Chirac parlera de repentance pour les actes de 1947… ce que ne fit pas François Mitterrand, alors Ministre des Colonies, lors de son passage en janvier 1951.
Le 26 juin 1960, comme d’autres pays du continent africain, Madagascar deviendra un Etat indépendant.

Un puissant sortilège…
Nicole Viloteau, exploratrice qui a souvent parcouru Madagascar, a peut-être trouvé les mots justes pour décrire ce mystère de l’île-continent : « Je ne savais pas encore à quel point Madagascar est un puissant sortilège qui entraîne sur des chemins où se mêlent le rêve, le mystère, l’art divinatoire et la sorcellerie… Un sortilège rouge comme la latérite qui habille les Hautes Terres de l’île. » Allez savoir si les montagnes ne servent pas de repères aux démons et autres esprits belliqueux, d’ailleurs les éleveurs ne s’y aventurent jamais la nuit tombée. A moins de tâter la bosse du zébu qui protégerait de quelques maléfices et sortilèges.
Mais tout cela ne serait, paraît-il, que légende…

En avant pour une découverte « bio »
Mais on peut être enclin à partager un peu de ce mystère lorsqu’on choisit de découvrir le pays loin des enclos à touristes, d’ailleurs pas si nombreux à Mada.
C’est en taxi-brousse (sorte de minibus de 12 à 15 places dans lequel on peut se retrouver à 25 !), en 4X4, et le reste avec de bonnes chaussures que l’on fera le voyage en direction du Sud-Est, Manakar et Farafangana, avec en cadeau un dépaysement total entre Océan Indien et brousse où l’on va vivre sans eau dite courante, sans électricité, bien obligés de s’adapter au rythme des règles de vie élémentaires ici : la nuit à 18 heures, le jour à 5 heures le matin, et pour compagnie des bataillons d’araignées, de lézards et autres insectes parfois non identifiés, mais souvent très gros. Au bout de deux jours, on s’y fait !
On peut aussi opter pour la région des baobabs côte Ouest face au Mozambique, s’imprégner des parfums de vanille à Sambave, faire de l’éco-tourisme dans la région thermale de Ranmafana, ou pourquoi pas mettre le cap sur la pointe Nord vers la petite île de Nosy Bé : hauts plateaux, forêts, savane, côtes et plages, les paysages changent continuellement au fil du périple, voyage que l’on débutera obligatoirement depuis Tananarive, capitale un brin bordélique, construite en terrasses, et qui fête cette année ses 400 ans.
Entre nous, nous prendrons le temps de regarder car les trajets sont toujours longs, on ne peut espérer parcourir plus de 300 ou 400 kilomètres dans une journée, les routes malgaches n’étant pas des modèles de perfection… quand elles ne laissent pas la place à des sentiers gluants de boue et glissants comme la patinoire. On appellera ça une piste, une piste qui nous mènera en fin de journée lorsque l’horizon devient métallique au-delà des rizières avant de tourner couleur or vers l’Ouest, dans l’un de ces villages où le seul repère à la nuit tombée sera une bougie qui fait de son mieux pour perpétrer le progrès initié par l’homme… il y a quelques siècles déjà !
A vrai dire, on se sent très vite aux confins de notre civilisation : bienvenue au Moyen-Âge diraient certains, en tout cas, on devrait offrir un stage in situ à tous ceux qui estiment que la France est un pays de malheurs où la vie est inhumaine !
Et si vous ne verrez pas forcément les célèbres lémuriens au cœur de la forêt, vous ne quitterez jamais des yeux l’Arbre du Voyageur, l’emblème de Madagascar, avec lequel on fait les maisons (murs et toits), mais aussi les cocotiers, les bananiers, les figuiers, les arbres-saucisses, et ces incontournables rizières (le riz étant l’aliment de base) qui donnent à l’île des allures de Cochinchine.

La décroissance en vrai !
Si Nicole Viloteau évoque le sortilège, le poète Rabindranath Tagore en appelle lui à l’espoir, et Dieu sait (du moins il devrait savoir !) que ce pays en a besoin pour faire face à cette inéluctable régression économique et sociale : « Quelle est donc cette musique qui berce le monde ? Si l’immortalité ne réside pas au cœur même de la mort, si l’heureuse sagesse ne jaillit pas du fourreau de la douleur, alors d’où viendrait cet espoir ? » Dans le recommencement, la préservation et la foi en la justice d’une démocratie retrouvée…
Cette escapade à Madagascar, que nous avons  voulu inclure à ce dossier sur les 50 ans de l’indépendance africaine, nous a permis de voir les méfaits de cette décroissance (prônée chez nous par quelques irresponsables) en situation, avec tous les ravages qu’elle initie très rapidement, tant au niveau alimentaire que sanitaire, sans parler de ce que nous appelons le minimum de confort qui se résume là-bas à… un minimum de presque rien ! Au milieu de ce marasme, Madagascar a quand même une chance, un atout, c’est une île, et n’ayant aucune frontière, le pays a pu échapper à toutes ces guerres qui minent l’Afrique depuis un demi-siècle. Ici, l’ennemi est à l’intérieur, il a pour nom le pouvoir qui siège à Tananarive.
Depuis trente ans, Madagascar vit un déclin économique structurel qui fait aujourd’hui de l’île l’un des Etats les plus pauvres de la planète : le Malgache moyen de 2010 est en fait plus pauvre que ses parents et ses grands-parents, alors que le pays est potentiellement immensément riche. Cherchez l’erreur…

De la mauvaise politique
Ce déclin trouve sa source après la présidence de Philibert Tsiranana, premier Président, et avec l’arrivée de Didier Ratsiraka, un capitaine de frégate qui sera nommé chef d’Etat et du gouvernement en juin 1975 et instaurera immédiatement un Conseil National de la Révolution. C’était à la mode à l’époque, la République Démocratique de Madagascar était née, et bien sûr elle s’alignait aussitôt sur le bloc soviétique. L’Etat contrôle tous les échanges et ruine le pays. Ce régime va durer jusqu’en 1993, date à laquelle le professeur Zafy Albert (cardiologue qui travailla avec les professeurs Cabrol et Vigouroux à Marseille), devient Président de la République. Pour peu de temps, car en 1996, Ratsiraka revient aux affaires, moins communiste et plus proche de la France (où il était en exil !). Le pays connaîtra une certaine stabilité économique à partir de la fin des années 90, puis avec l’arrivée au pouvoir du maire de Tananarive, Marc Ravalomanana, qui sera déclaré Président en 2002, puis réélu en 2006. Premier Président issu de la communauté des Mernes, il mènera une politique de réformes et de constructions, mais malheureusement, n’oubliera pas de se placer personnellement dans tous les secteurs économiques à profits. On lui reprochera également d’avoir cédé en 2008 une licence d’exploitation sur la moitié des terres arables pour 99 ans à une multinationale coréenne, Daewoo.
Très vite, le bras de fer entre le Président et le nouveau maire de Tananarive (Andry Rajoelina dit « TGV ») va dégénérer, jusqu’aux affrontements de rue en janvier 2009. Ravalomanana s’enfuit et trouve asile en Afrique du Sud.
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Existe-t-il encore un avenir ?
Administration peu présente et souvent corrompue, responsables politiques impliqués dans le monde des affaires, plus les effets d’une mondialisation impitoyable pour des économies en panne, le cocktail est détonant. Le seul secteur de la vanille, où Madagascar est en pointe, commence à être sinistré, les prix chutent face à une surproduction mondiale… alors que les prix du riz, alimentation de base des Malgaches, flambent ! Quant au tourisme, qui avait retrouvé une certaine vitalité durant les années 2004/2005, il est quasiment à l’arrêt eu égard à cette instabilité politique qui devient chronique. Bien sûr, il reste le secteur minier des diamants à l’ilménite (le minerai du titane), mais celui-ci est évidemment sous le contrôle de quelques groupes (notamment chinois), et n’enrichit que ceux-ci, pas le peuple.
Depuis janvier 2009, depuis les violents combats de rue qui ont chassé le Président en place, Madagascar est sous le contrôle d’une Haute Autorité de Transition dirigée par l’ex-maire de Tananarive Andry Rajoelina, une HAT dont la mission première, on l’a dit, est de préparer de futures élections démocratiques basées sur une refonte des listes électorales. Les quatre mouvances principales, celle du Président de la HAT et celles des trois derniers Présidents ont travaillé pour tenter de trouver ce compromis de réconciliation. Pour ce faire, il y eut des réunions en terrain neutre à Maputo au Mozambique et à Addis Abeba, et en clair, tout le monde était d’accord… jusqu’au jour où le Président actuel de la HAT a décidé de ne plus être d’accord ! On parlera d’ivresse du pouvoir. Mais le drame, c’est que ce refus d’appliquer les accords signés vient de mettre Madagascar au ban des nations :  ONU, Union Européenne, Fonds Monétaire, plus le GIC, Groupe International de Contact, l’Union Africaine et la SADC (zone d’influence des pays du Sud de l’Afrique)… tous condamnent cette attitude irresponsable, y compris le gouvernement américain qui rappelle que « les sanctions tomberont si les acteurs de la politique malgache continuent d’entraver le retour à un gouvernement constitutionnel. »
De son côté, la France, dont on évoque la position ambiguë, tente de rapprocher les belligérants afin de trouver une sortie digne à la crise…

Avec la France ?
Aujourd’hui, le pouvoir est accusé d’avoir remis en service la planche à billets, la monnaie, l’Ariary, perd chaque jour de sa valeur, les investisseurs ne sont pas au rendez-vous, les exploitations de bois de rose (un scandale écologique) sont à nouveau autorisées, le pays tout entier part à la dérive sous le regard désabusé d’un peuple malgache abandonné à son sort peu envieux. C’est dans ce contexte que la France a le devoir de jouer son rôle de partenaire historique de Madagascar, et si les plus anti-Français de Tananarive reprochent à la France de vouloir remettre la main sur l’île, répondons : foutaises ! Madagascar est le 86e pays au niveau des investissements français et représente 1/1000e du commerce extérieur. Il n’y a pas sur place d’intérêts vitaux pour la France, même si quelque 25.000 de nos compatriotes vivent sur place.
« La France ne soutient pas Rajoelina, elle soutient le retour à la stabilité politique. L’important est que le peuple malgache puisse se prononcer librement sur le choix de ses dirigeants afin que Madagascar puisse enfin travailler sur des questions de développement » explique Jean-Marc Chataigner, ambassadeur de France à Tananarive (L’Express de Madagascar le 14/1/2010). En annonçant des élections législatives pour le 20 mars, le Président de la HAT a voulu prendre tout le monde de court, appelant même l’ONU à l’aide pour les organiser, mais personne n’est dupe, car ces élections auxquelles les trois quarts des mouvances politiques refusent de participer, ne changeront rien à la situation sur place.
Voilà pourquoi le passage de Nicolas Sarkozy à Tananarive aurait pu changer la donne, il aurait pu « obliger » les différents acteurs à revenir à la table des discussions, non pas en commettant le crime d’ingérence dans les affaires malgaches, mais en tant que représentant d’une communauté internationale aujourd’hui excédée par l’attitude de la classe politique du pays. Mais bien sûr, en ce cinquantenaire de l’indépendance des Etats africains, d’aucuns chez nous n’auraient pas manqué de crier au loup… au néo-colonialisme rampant. Sans doute préfèrent-il voir – de loin – mourir ce peuple si attachant, propriétaire d’une terre fabuleusement riche. Mais c’est une autre histoire…
 

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