De la drôle de guerre à la guerre éclair
On connaît l’histoire, le 1er septembre 1939 l’Allemagne envahit la Pologne, et par le jeu des alliances, la France et l’Angleterre se retrouvent en guerre, une « drôle de guerre » qui allait durer huit mois, jusqu’au 10 mai 1940, début de la bataille de France et de la percée de Sedan. En quelques jours, le Luxembourg, les Pays Bas et la Belgique tombent, la France va suivre.
La « guerre éclair » est gagnée en six semaines par les Allemands, la Ligne Maginot est bonne pour le musée, les divisions françaises sont anéanties par la Blitzkrieg, la France est sur les routes en ce somptueux mois de juin où la douce moiteur d’un été frémissant ne pouvait plus redonner le moral à ces familles perdues, désemparées, meurtries et trahies par des politiciens partis se mettre à l’abri, d’abord à Tours, puis à Bordeaux, avant de s’en aller prendre les eaux à Vichy sous le portrait d’un vieux maréchal à la voix chevrotante.
En Angleterre, dès le 10 mai, Winston Churchill avait remplacé Chamberlain à la tête du gouvernement, et le 13 il expliquait à son peuple qu’il n’avait à offrir « que des efforts, du sang, de la sueur et des larmes. »
Tout s’accélère en juin, notamment avec l’entrée en guerre le 10 de l’Italie de Mussolini. Le 14 juin, les Allemands entrent dans Paris « ville ouverte », le 16 juin, le Président de la République Albert Lebrun nomme Philippe Pétain Président du Conseil. Dès le lendemain, il annoncera que la France doit cesser le combat.
Deux appels en deux jours, et deux visions de l’Histoire en devenir
Le 17 juin, c’est le jour où le Maréchal fait don de sa personne à la France pour atténuer son malheur : « En ces heures douloureuses, je pense aux malheureux réfugiés qui, dans un dénuement extrême, sillonnent nos routes. Je leur exprime ma compassion et ma sollicitude. C’est le cœur serré que je vous dis aujourd’hui qu’il faut cesser le combat. Je me suis adressé cette nuit à l’adversaire pour lui demander s’il est prêt à rechercher avec nous, entre soldats après la lutte et dans l’honneur, les moyens de mettre un terme aux hostilités. Que les Français se regroupent autour du gouvernement que je préside pendant ces dures épreuves et fassent taire leur angoisse pour n’écouter que leur foi dans le destin de la patrie. »
La compassion et la sollicitude pour annoncer la défaite de la France que personne n’imaginait à ce point fulgurante.
La veille, après la démission du Président du Conseil Paul Reynaud, l’un de ses sous-ministres, Charles de Gaulle, quittait la France pour l’Angleterre avec son aide de camp Geoffroy de Courcel. Quelques uns l’imitèrent, laissant par là même, famille, études, métier pour rejoindre l’inconnu qui ressemblait fort à une aventure périlleuse. Beaucoup pensaient ne jamais revenir en France…
Le 18 juin 1940
Cette date pourrait figurer, au même titre que le 14 juillet et le 8 mai, au registre des journées nationales fériées. Avec l’accord de Churchill qui dira de lui « qu’il emportait avec lui l’honneur de la France », Charles de Gaulle se rend aux studios de la BBC pour enregistrer son appel aux Français, appel qui deviendra un acte fondateur de la future Résistance. Ce texte rédigé le jour même (et différent de celui de l’affiche, voire encadré), est enregistré à 18h30, après avoir subi quelques modifications à la demande du gouvernement britannique. En voici le texte intégral :
L’APPEL DU 18 JUIN 1940
« Les chefs qui, depuis de nombreuses années, sont à la tête des armées françaises, ont formé un gouvernement.
Ce gouvernement, alléguant la défaite de nos armées, s’est mis en rapport avec l’ennemi pour cesser le combat. Certes, nous avons été, nous sommes submergés par la force mécanique, terrestre et aérienne de l’ennemi.
Infiniment plus que leur nombre, ce sont les chars, les avions, la tactique des Allemands qui nous font reculer. Ce sont les chars, les avions, la tactique des Allemands qui ont surpris nos chefs au point de les amener là où ils en sont aujourd’hui. Mais le dernier mot est-il dit ? L’espérance doit-elle disparaître ? La défaite est-elle définitive ? Non !
Croyez-moi, moi qui vous parle en connaissance de cause et vous dis que rien n’est perdu pour la France. Les mêmes moyens qui nous ont vaincus peuvent faire venir un jour la victoire.
Car la France n’est pas seule ! Elle n’est pas seule ! Elle n’est pas seule ! Elle a un vaste Empire derrière elle. Elle peut faire bloc avec l’Empire britannique qui tient la mer et continue la lutte. Elle peut, comme l’Angleterre, utiliser sans limites l’immense industrie des Etats-Unis.
Cette guerre n’est pas limitée au territoire malheureux de notre pays. Cette guerre n’est pas tranchée par la bataille de France. Cette guerre est une guerre mondiale. Toutes les fautes, tous les retards, toutes les souffrances n’empêchent pas qu’il y a, dans l’univers, tous les moyens nécessaires pour écraser un jour nos ennemis. Foudroyés aujourd’hui par la force mécanique, nous pourrons vaincre dans l’avenir par une force mécanique supérieure. Le destin du monde est là.
Moi, général de Gaulle, actuellement à Londres, j’invite les officiers et les soldats français qui se trouvent en territoire britannique ou qui viendraient à s’y trouver, avec leurs armes ou sans leurs armes, j’invite les ingénieurs et les ouvriers spécialisés des industries d’armement qui se trouvent en territoire britannique ou qui viendraient à s’y trouver, à se mettre en rapport avec moi.
Quoi qu’il arrive, la flamme de la résistance française ne doit pas s’éteindre et ne s’éteindra pas. Demain comme aujourd’hui, je parlerai à la radio de Londres. »
Si cet appel ne fut pas entendu par un grand nombre de Français, son impact fut déterminant pour la suite du combat, et dans un premier temps à travers l’Empire, et quelques uns des futurs ministres du général sous la 5e République continueront ce combat de la France Libre, entre autres, Robert Galley, Pierre Messmer, Lucien Neuwirth.
Pour la petite histoire - mais dont l’importance est colossale -, ce même 18 juin 1940, le physicien Joliot-Curie embarquait pour l’Angleterre avec tout le stock européen d’eau lourde nécessaire à la recherche nucléaire (stock qui venait de Norvège).
Pétain parle à nouveau
Le 25 juin, le Maréchal Pétain s’adressait à nouveau aux Français qui allaient découvrir la réalité de l’occupation : « Les conditions auxquelles nous avons dû souscrire sont sévères. Une grande partie de notre territoire va être temporairement occupée… Le gouvernement reste libre, la France ne sera administrée que par des Français. » Il fallait se montrer rassurant et à la hauteur de la mission à accomplir, tout en jetant l’opprobre sur ceux qui avaient décidé de continuer la lutte : « Je ne serais pas digne de rester à votre tête si j’avais accepté de répandre le sang des Français pour prolonger le rêve de quelques Français mal instruits des conditions de la lutte. »
Ces folles semaines prendront fin avec le retour de ceux qui avaient fui devant l’avancée allemande et avec les pleins pouvoirs que le Congrès donnera à Pétain en juillet.
On célèbre le 18 juin
Cette année, et c’est une première pour un Président de la République, Nicolas Sarkozy se rend à Londres à l’occasion du 70e anniversaire de l’Appel du 18 juin, il ira entre autres au quartier général de de Gaulle à Carlton Gardens, et on attend quelque 700 anciens combattants français sur place.
Certes la France a changé depuis cette époque, depuis de Gaulle, trente millions de Français sont nés depuis sa mort, mais l’Honneur devrait toujours demeurer intact, non négociable, et passer avant les honneurs. On peut quand même en douter…
L’Appel de l’affiche
Elle ne reprend pas le texte lu à la BBC. C’est un imprimeur de Seawell road à Londres qui a réalisé le premier tirage à mille exemplaires de cette affiche.
Achille Oliver Fallek parle du passage de Charles de Gaulle dans son atelier : « Les deux coudes appuyés sur le marbre, il a relu son texte avec une extraordinaire attention. Il a demandé qu’on force un peu les caractères du titre. Il avait l’air si grave et en même temps si calme. » Elle sera placardée à partir du 3 août 1940. Un deuxième tirage à 10.000 exemplaires suivra, puis un troisième, toujours imprimé en Angleterre. Cette affiche est aujourd’hui au Registre Mémoire du Monde de l’Unesco.
LE CHRONIQUEUR
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