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Lénine, Staline et la musique

20/01/2012
« Tout le monde n’a pas eu la chance d’avoir des parents communistes » à l’époque où près d’un Français sur trois regrettait que la France n’ait pas été libérée par l’Armée Rouge. Si le film de Jean-Jacques Zilbermann nous raconte la vie de militants du PCF à la fin des années 50, l’exposition proposée par la Cité de la Musique à Paris jusqu’au 16 janvier prochain, retrace elle la période précédente, celle qui va de la Révolution de 1917 à la mort de Staline en 1953 : « Lénine, Staline et la musique » ou une rétrospective de l’ère 1 du communisme en Union Soviétique à travers les arts, musique, peinture, théâtre, cinéma, affiches… des pratiques artistiques qui se devaient d’être populaires et accessibles au plus grand nombre. Un peu ce qu’écrivait léon Tolstoï quelques années auparavant, « Les grandes œuvres ne sont grandes que parce qu’elles sont accessibles et compréhensibles à tous. »
2010, c’est l’année France – Russie et, hasard du calendrier, les 100 ans de la disparition de l’auteur de « Guerre et Paix ».

 

Même Molière fut interdit !

« Si Staline a jamais éprouvé quelque intérêt bienveillant pour Boulgakov, ce qui l’aurait incité à l’aider en 1930, dorénavant cet intérêt s’était de toute évidence évanoui. » Nous sommes en 1936, le célèbre dramaturge n’a plus les faveurs du pouvoir, il n’est pas le seul puisque cette année-là, même Molière sera à son tour interdit.

Comme il avait décidé de réduire les dernières forces de résistance paysanne en 1933, Staline va réduire telle une peau de chagrin les volontés « liberticides » ou libérales des artistes. Il faut dire que le monde s’échauffe, serrons les rangs.

Pourtant, après la Révolution bolchevique de 1917, une majorité des acteurs culturels n’étaient pas prêts à servir le nouveau pouvoir. Certains étaient déjà partis, les uns pour toujours à l’instar de Stravinsky et Diaghilev, d’autres reviendront au pays, on pense ainsi à Prokofiev.

Durant la première décennie qui suivit la Révolution, les tendances les plus radicales s’affronteront, beaucoup prônant alors « le remplacement de toutes les formes culturelles et artistiques pré-révolutionnaires, bourgeoises, par des formes nouvelles, prolétariennes. » Le Proletkult, bureau culturel du nouveau pouvoir, battait la mesure !

 

De l’avant-garde, mais pas trop !

Pas du tout en fait. Chostakovitch, compositeur reconnu dès 1925 avec sa première symphonie, jouée dans le monde entier, l’apprendra à ses dépens. Le compositeur avait déplu aux commissaires du peuple de la culture (et à Staline lui-même) avec son opéra « Lady Macbeth de Mzensk » en 1934 que la Pravda qualifia de « galimatias musical » et d’anti-soviétique, dénonçant une œuvre « dénuée de toute mélodie et gauchiste ». Chostakovitch comprend l’avertissement, retire du coup sa 4è symphonie, jugée trop audacieuse (elle ne sera jouée qu’en 1961), et démarre une nouvelle œuvre qui sera dans les canons de l’accessibilité et de la 

compréhension, pour reprendre l’idée de Tolstoï.

Dans sa contribution au catalogue de l’exposition (qui est aussi un livre), Sheila Fitzpatrick revient sur ces rapports entre culture et pouvoir à l’époque de Staline : « Le régime soviétique – écrit-elle – s’est beaucoup soucié des questions culturelles. On le sait de longue date, et les archives ouvertes dans les années 90 le confirment amplement. Cet intérêt se manifeste de deux façons : encourager et récompenser les acteurs culturels, ou, au contraire, les mettre au pas et les sanctionner. » Elle résume parfaitement cette dualité et les innombrables antagonismes vécus de l’intérieur par ces mêmes acteurs culturels.

Comme le cinéma, comme la littérature et le théâtre, la musique devait se comporter au mieux des intérêts de la Révolution, y compris au moment des purges et de la grande terreur de 1937, y compris au goulag, y compris en pleine guerre froide. La culture assimilée par le plus grand nombre avait son rôle dans la lutte des classes, elle devait être elle aussi prolétarienne.

 

L’exposition

Cette exposition, visible au Musée de la Musique (Cité de la Musique) à Paris du 12 octobre au 16 janvier 2011, est organisée dans le cadre de l’Année France-Russie 2010 (www.france-russie2010.fr). Et où ailleurs qu’en France peut-elle revêtir autant d’intérêt, là où la force de pénétration de l’idéologie communiste eut un tel retentissement sur la vie politique nationale, quasiment jusqu’à la chute de l’Union Soviétique ? Nous avons ouvert avec Tolstoï, laissons-le conclure : « Si un homme a beaucoup plus qu’il ne faut c’est que d’autres manquent du nécessaire. » De quoi lever les camarades pour une Internationale du genre humain, non ?... Mais avant, allez voir comment les artistes étaient mis au service d’une dictature.

 

Lénine, Staline et la musique

 Comment pouvait-on vivre et développer son art entre 1917 et 1953 en Union Soviétique ? C’est ce que nous propose de découvrir la Cité de la Musique à Paris avec son exposition « Lénine, Staline et la musique » depuis le 12 octobre et ce jusqu’au 16 janvier 2011, une manifestation organisée dans le cadre de l’Année France – Russie 2010. Et « Lénine, Staline et la musique » c’est aussi un beau livre publié par Fayard qui est en fait le catalogue de l’exposition signé par de grands spécialistes de la Russie Soviétique qui ont apporté leur contribution éclairée et artistique. Et disons-le tout de suite, ce livre est absolument magnifique, de par ses textes bien sûr, mais aussi de par ses nombreuses illustrations originales, affiches, peintures, photos retraçant cette période.

De la Révolution de 1917 à la mort de Staline en 1953, l’activité artistique se devait d’être marxiste, léniniste, communiste, bref au service de l’Etat tout puissant : « Le principe dominant est que l’art doit être accessible aux masses, qu’il doit être réaliste et qu’il doit affirmer la vie plutôt que provoquer la morosité. » Donc pas de peinture abstraite ou de musique atonique, le peuple n’a pas le temps de réfléchir. Alors le réalisme socialiste passera par des expositions et des concerts, l’éducation par la culture d’Etat… y compris dans le goulag qui fut l’une des bases de l’industrialisation de l’Union Soviétique. Et que dire du cinéma qui trouva son rôle entre art et propagande ? Attention, on peut également parler de véritable création, les œuvres de Chostakovitch, Prokofiev ou Khatchatourian en témoignent encore aujourd’hui, même si des artistes comme Kabalevski furent continuellement utilisés comme des ambassadeurs de l’art pédagogique.

Si cette période de l’histoire et l’Art vous intéresse, procurez-vous vite ce bel ouvrage, surtout si vous ne pouvez aller voir l’exposition à Paris.

Lénine, Staline et la musique, chez Fayard avec le concours de la Cité de la Musique, 39 €

 

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