«sine postico»
Le temple augustéen de Vienne appartient à la catégorie des périptères «sine postico». C’est un temple périptère, où la chambre de la divinité est entourée de colonnes, sauf au niveau de sa partie arrière.Un périptère romain courant est un temple entouré de 6 colonnes sur 10. Le temple de Vienne de Jupiter, a 6 colonnes en façade et 6 colonnes et 2 pilastres sur les façades latérales se prolongeant à sa partie arrière par une paroi bordée de 2 pilastres. La face arrière est une paroi pleine surmontée d’un fronton.
Il faut noter la présence de deux types de chapiteaux augustéens à la partie arrière: ceux du sud sont de modèles anciens (feuilles d’acanthe chardonneuses avec nervures en cornet de tradition tardo républicaine) et ceux du nord sont plus récents avec l’affirmation végétaliste de la feuille d’acanthe.
On est soit en présence de deux artisans d’âge différent travaillant en même temps selon leurs habitudes, soit la construction s’est étalée dans le temps nécessitant le changement d’artisan.
Dédié à Jupiter Tonans
Ces deux modèles sont au centre de la question de la datation. Il paraît surprenant que le cahier des charges n’ait pas imposé un modèle unique et qu’une liberté eut été offerte aux artisans. On peut envisager le décès d’un vieil artisan au cours de la pose des décors, et qu’il n’ait plus été trouvé de sculpteur capable de travailler à l’ancienne afin de terminer les décors selon le style initial. Il aurait été obligé pour terminer l’ouvrage, de prendre un sculpteur parmi de nouvelles générations formées à l’exécution de feuille d’acanthe sous forme végétale. Dans cette perspective le cahier des charges aurait fixé la feuille d’acanthe chardonneuse vers -30 au début de la contruction qui se serait terminée entre -25 et -20. Le changement brutal se serait produit au moment où l’édification du temple aurait été terminée et que la pose des décors étaient en cours vers -25 environ.
Le temple augustéen a été achevé et a été dédié probablement à Jupiter Tonans qui était le seul en vigueur à l’époque mis à part Jupiter Olympien. L’inscription primitive augustéenne s’est maintenue durant tout le premier et le second siècle ainsi qu’une partie importante du troisième.
Au moment de l’Empire des Gaules à partir de 257, a été introduit le dieu gaulois Taranis sous la forme du Dieu Chevelu. Une nouvelle inscription a été apposée en enlevant les lettres augustéennes. Une applique de métal représentant un aigle aurait été apposée au centre de l’inscription. Deux grandes lampes à huile du musée de Vienne montrent une tête de Jupiter surmontant un aigle aux ailes déployées. C’est ce type de motif qui devait régner au centre de l’architrave.
Lampe à huile représentant Taranis et l’aigle
Deux inscriptions inédites
Juste après la pose de la dédicace, le temple a subi un effondrement frontal entrainant l’écroulement d’une grande partie des colonnes latérales. Seule a subsisté
la partie arrière avec quelques chapiteaux, fûts de colonnes et pilastres. Des traces d’incendie ont été trouvées sur ces chapiteaux augustéens d’origine.
Cet accident serait dû à un éclair venu comme tous les orages depuis le sud ; il aurait été attiré par l’aigle en métal et sa force aurait entrainé l’écroulement de la majeure partie des maçonneries et l’incendie des charpentes. Du fait de l’onde de choc, le mouvement se serait fait vers le nord occasionnant plus de dégâts sur la face latérale nord. Puis le temple a été reconstruit toujours sous l’Empire des Gaules et une nouvelle inscription a été placée sur les architraves neuves. Notons que les nouveaux chapiteaux ont une admirable facture pour le troisième siècle. On songe à des ateliers rhénans de la région de Cologne. Paradoxalement les ornements des nouvelles corniches n’ont pas été exécutés, comme souvent à cette époque. L’adjudication des chapiteaux a été faite a des sculpteurs de haut niveau tandis que celle de sculpteurs chargés de la partie courante n’a pas été engagée. En façade, les nouvelles bases des colonnes ont été placées sur des blocs d’hypobase en calcaire dur comportant curieusement une plinthe. Ce fait avait été attribué à l’époque tibérienne par les meilleurs spécialistes.
Cette inscription mentionne que le Dieu chevelu a été réinstallé. Si elle est la première que l’on voit, elle est en fait la troisième. Puis à l’avènement de l’empereur Dioclétien en 285, cette inscription, dédiée au dieu gaulois devenait insupportable pour la nouvelle idéologie impériale essayant d’imposer son influence ; elle a été remplacée par une autre affirmant à nouveau Jupiter. Elle est au final la quatrième. C’est à ce moment qu’a été apposée sur les architrave une inscription, inédite sur cet emplacement, affirmant le rétablissement des rites religieux traditionnels de Rome.
Les décryptages précédents
Claude Charvet, le premier mentionne dans son manuscrit «les fastes de Vienne» : «un voyageur très versé dans l’antiquité, après avoir examiné avec soin ce monument, me dit, il y a peu de temps, 1769, que c’était le temple d’Auguste; qu’il avait aperçu dans la frise les vestiges des mots DIVO AUGUSTO CAESARI. Que dans la suite des temps on y avait ajouté sur la frise, dont on avait coupé les filets, parce que ce n’est point le lieu des inscriptions: ET DIVAE AUGUSTAE».
Pierre Schneyder, en 1775, suivant l’exemple de M Séguier pour la maison carrée de Nimes, fait le premier le relevé des trous de l’inscription. A l’époque il n’a pas conscience de l’existence de deux inscriptions qui se superposent. Il mélange les deux inscriptions en faisant un choix arbitraire. Les cavités étant en grande partie bouchées depuis l’époque paléochrétienne, Schneyder les fait désobstruer. La lecture qu’il fait est la suivante:
CON SEN AUGUSTO OPTIMO MAXIMO
ET DIVAE AUGUSTAE
Séguier, à qui Schneyder envoit son texte, lui fait remarquer que l’OPTIMO MAXIMO ne peut s’appliquer à l’époque augustéenne qu’à Jupiter. Et il propose de placer IOVI entre l’espace des deux inscriptions, là où Schneider avec raison plaçait un aigle en applique de bronze.
Aubin-Louis Millin, inspecteur des Monuments Historiques ne fait pas de proposition mais n’est pas convaincu par la restitution de Schneyder à cause du nombre de cavités non utilisées.
Bondurant, en 1897 dans sa lettre à l’Académie des Inscriptions et Belle-Lettres propose la restitution suivante de l’inscription du temple de Vienne :
DIVO AUGUSTO IMP CAESARI OPTIMO MAXIMO
ET DIVAE AUGUSTAE
Antoine Héron de Villefosse dans les Comptes-rendus des séances de l’Académie des Inscriptions et Belles-Lettres ( Année 1897 Volume 41 Numéro 3 pp. 287-289) souligne l’incohérence de cette traduction où l’apothéose d’Auguste est incompatible avec l’Imperator Caesar impliquant le fait que l’empereur est vivant.
Jules Formigé découvre l’existence des deux inscriptions superposées
1 - ROMAE ET AUGUSTO CAESARI DIVI F
ET DIVAE AUGUSTAE
2 - DIVO AUGUSTO OPTIMO MAXIMO
ET DIVAE AUGUSTAE
André Pelletier constate que les autres inscriptions posent des questions et après des essais il renonce à la lire.
Essais de la seconde inscription
APOLLINI SANCTO ET DIVO AUGUSTO
HERCULI INVICTO ET DIVO AUGUSTO
Site du ministère de la culture : «On inscrit alors sur la frise ce qui est peut-être la dédicace originelle «ROMAE ET AUGUSTO - CAESARI DIVI F» («A Rome et à César Auguste, fils du Divin» sous-entendu fils du divin Jules César). On ajoute sur l’architrave, sans doute dans la foulée, une dédicace «ET DIVAE AUGUSTAE». Elle désigne Livie, épouse d’Auguste, décédée en 29 ap. J.-C. et divinisée au début du règne de Claude. Les grandes lettres de bronze qui formaient ces dédicaces ont été arrachées depuis longtemps. Cependant, grâce aux trous laissés par leurs fixations et aux empreintes lisibles en lumière rasante, la lecture en est assez aisée».
Relevé de Schneyder
Identification
Le relevé permet de voir que les cavités d’ancrage n’ont pas été toutes utilisées par les différents descripteurs et que l’on a forcé la lecture en omettant des lettres pour sélectionner celles qui devaient convenir à l’idée que l’on se faisait d’une inscription augustéenne.
Si l’on examine attentivement l’architrave où il n’y a qu’une inscription, il est impossible de lire «augustae» sans procéder à une falcification du relevé: en effet il faut rapprocher les trous pour inserrer la lettre «G», sans quoi il y a une dilatation anormale de celle-ci. Par ailleurs un trou demeure inutile après le «A» initial; G. Shneyder le justifiait par une erreur du lapicide. Séguier soutenait son propos en affirmant qu’en province il y avait une déficience des artisans…. L’inscription du temple de Nîmes par sa rigueur augustéenne prouve le contraire.
Tout ceci signifie qu’il existe en réalité deux mots séparés qui sont «RITIS OVARE» faisant suite à «ET ROMAE» et non «ET DIVAE».
Les causes de l’égarement reposent aussi sur la mauvaise identification de CAESADI en CAESARI ; la lecture du D étant incontournable par le fait que l’on a taillé la courbe du D pour mieux insérer la lettre sur la paroi.
Dans les différentes restitutions, la grande majorité des lettres n’a pas des ancrages corrects.
Sur les photographies anciennes, le lettrage est encore partiellement visible; il est facile de déchiffrer «ET AUGUSTO».
A partir de ces données, nous nous sommes fixés le principe que toutes les lettres des deux inscriptions devaient avoir des ancrages parfaits et qu’il ne devait subsister aucune cavité de scellement inutilisée.
Le fronton du temple aurait donc reçu à l’époque romaine quatre dédicaces.
Ière inscription disparue.
On pourrait envisager pour l’époque augustéenne un JUPITER TONANS
IIème inscription disparue
Au début de l’empire des Gaules:
GLORA TARANIS IOVI ?
IIIème inscription
(présente sur l’architrave)
GLORA DI TARA IOVI CAESADI FA RUO AE
Glora di Taranis Iovi caesariati di facia ruo aedificavit
Gloire à Jupiter Taranis --- la représentation effondrée du dieu chevelu fut édifiée.
Le Dieu chevelu qui est une forme du Taranis gaulois, est surprenant pour un édifice officiel du forum ; il correspond de manière incontournable à la période de l’Empire Gaulois (260 à 274). Une monnaie de l’empereur Postumus mentionne cette forme de Taranis Dieu Chevelu au début de l’Empire Gaulois en 257. Après la restauration de la façade qui se situe avant 273, aurait été mise en place cette inscription. La tête de la «bobe» conservée au musée lapidaire pourrait être le chef de cette statue. En effet la présence de queues d’aronde sur le nez et sur la boite cranienne prouve une restauration à la suite de fractures.
Jusqu’à la révolution cette tête était en place sur la porte d’accès de l’ancien archevêché et regardait le temple. Les auteurs anciens comme Chorier la considéraient comme la tête de Jupiter; les spécialistes actuels la dateraient du IIIème siècle. La présence du terme «ruo», c’est à dire effondré, indique bien que la destruction partielle du temple aurait bien eue lieu pendant l’empire des Gaules.
Son aspect est très proche des portraits de l’empereur postumus divinisé. Les empereurs Gaulois ont voulu d’abord sauver la civilisation gauloise et ont tenté une politique de redressement en exploitant le sentiment national gaulois..
IVème inscription
(présente sur l’architrave et la frise)
IOVI LI ET AUGUSTO…. IOVI USO PAX IRI ET
Iovi li(beratori) et augusto---Iovi uso pax iri et(erna)
L’inscription sur architrave
ET ROMAE … RITIS OVARE
Cette inscription doit être lue de la manière suivante :
IOVI LI ET AUGUSTO ET ROMAE RITIS OVARE
«A Jupiter libérateur et à l’Auguste Et aux rites de Rome de triompher.»
L’autre partie
IOVI USO PAX IRI ETERNA
«La relation à Jupiter mène à la paix éternelle»
est autonome puisqu’elle est encadrée entre deux trous ne correspondant pas à des lettres car trop éloignés. D’autre part, par sa signification propre elle est en fait en soit un tout.
Cette inscription s’inscrit dans l’esprit de l’idéologie de Dioclétien qui est d’inspiration monolâtre, où Jupiter est la divinité majeure et suprême. Dioclétien étant l’incarnation de Jupiter sur terre. Il reprend la pensée d’Aurélien afin d’éclipser le monothéîsme chrétien.
Relevé de l’inscription partie gauche face au temple
Relevé de l’inscription partie droite face au temple
Marc Chalon et Pierre André
Remerciements à la bibliothèque et aux musées de Vienne
LE CHRONIQUEUR
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