le Musikverein, l’une des salles de concert de la ville
Un compositeur longtemps « oublié »
Celui qui est certainement le plus grand compositeur Viennois (n’oublions pas que Mozart était né à Salzbourg) fut aussi le plus grand oublié durant un siècle. Lui qui eut de grandes difficultés à imposer le style de ses opéras, devra son retour en grâce – seulement en partie – à des musiciens comme Liszt et Herbeck, et plus près de nous au chef Claudio Abbado, qui a fait revivre ces opéras-là en Autriche, en Allemagne, en Suisse ou encore en Grande Bretagne, à l’instar de « Fierrabras » et « Des teufels lutschluss ».
Schubert est né le 31 janvier 1797 dans le quartier populaire d’Himmelpfortgrund (« à la porte du ciel ») au nord de la capitale autrichienne, précisément au 72 de la Hauptstrasse, dans la maison-école Zum Roten Krebsen (« au crabe rouge »), là où son père enseignant à des enfants pauvres du quartier.
De cette maison à son ultime demeure Kettenbrüchengasse, dans le quartier de Wieden au sud, nous allons revivre un moment musical en ville à travers les différents lieux qui ont jalonné cette existence que l’on pourrait résumer entre la peine de mourir et la splendeur de vivre. De vivre vite.
le palais Esterhazy
Allegro vivace
Pour le jeune Franz, l’apprentissage de la vie et de la musique iront vite de paire. A tel point que dès l’âge de neuf ans, on le présente à un concours pour lui permettre d’intégrer comme petit chanteur la Chapelle de la cour impériale et royale. Réussissant avec succès, il devient pensionnaire du Konvikt, vaste bâtiment intégré à l’église des Jésuites au cœur de Wien. Il y restera de 1808 à 1813. Nous sommes en pleine période des invasions napoléoniennes et des séjours du Français eu Château de Schönbrunn… Au Konvikt, le jeune Schubert bénéficiera d’un maître particulier, Salieri, indissociable de la vie d’un autre compositeur décédé quelques années auparavant : Mozart.
A l’âge de quinze ans, Schubert a déjà écrit de nombreuses pièces musicales, inspiré peut-être par les opéras qu’il avait entendus, principalement des œuvres de Josef Weigl. Nous sommes en 1812, l’année de la mort de sa mère, et il a déjà « brûlé » la moitié de sa vie !
Con moto… et les premières œuvres jouées
Aussitôt terminé l’apprentissage au Konvikt, c’est dans son quartier natal qu’il retourne, et notamment en l’église de Lichtental où son frère Ferdinand tenait les orgues et où il fit ses débuts de chanteur. Lichtental, c’est en ce lieu que sa première Messe sera jouée (comme beaucoup d’autres par la suite) et qu’il dirigera lui-même le 16 octobre 1814, en la présence du maître Salieri. Son ami Holzer dirigeait le chœur, et la soprano était Thérèse Grod, une jeune fille dont il fut longtemps amoureux. Plus tard, à propos d’elle, Schubert dira : « pendant trois ans elle a espéré que je l’épouserais, mais je n’arrivais pas à trouver de situation. »
Il en a pourtant une : durant deux ans, il enseigne comme maître auxiliaire dans l’école de son père. Mais il continue d’écrire, jour et nuit, des cantates, des quatuors à cordes, des messes, et bien sûr ses fameux lieder : 250 en deux ans !
Ses thèmes favoris sont alors la nature, l’amour et la mort, et c’est avec des œuvres des poètes Schiller, Claudius, Müller, Schubart (« La Truite »), ou encore Stadler et Von Schober, ses amis du Konvikt, qu’il travaille. Parmi ces lieder, on retiendra « Le roi des aulnes », « La truite », « La jeune fille et la mort », ou encore le splendide « Voyage d’hiver ».
Mais une fois encore, Schubert va s’éloigner de « la porte du ciel »…
Scherzo et allegro vivace
Schubert a 21 ans et sa musique commence à faire partie de la vie viennoise, notamment au cours des fameuses « Schubertiades », réunions entre amis au cours desquelles on joue et on chante sa musique. Très souvent il accompagne au piano son ami Vogl. Mais avec Schubert, tout doit aller très vite, le temps est compté : le 18 juin 1820, une de ses œuvres, « Die Zwillingsbrüder », farce en un acte, est jouée au Kärntnertortheater (aujourd’hui le célèbre Musikveiren), puis on le demande cette fois-ci au Theater an der Wien (toujours en activité), là où seront présentés en 1823 « Rosamunde » et « Princesse de Chypre ».
Au cours de ces années, Schubert changera souvent de domicile viennois. Pêle-mêle, on le retrouve au 15 de la Wipplingerstrasse, près de l’ancien hôtel de ville, puis chez la famille Schober au Göttneigerhol de la Spielgasse (aujourd’hui un hôtel), proche du palais Lobkowitz, et au numéro 6 de la Bäckerstrasse, entre la cathédrale Saint-Etienne et le Konvikt de ses débuts.
Mais on voit également souvent ce petit homme rond et aimable, qui aime les plaisirs de la vie, du côté de Grinzing, quartier de vignerons sur les hauteurs de Wien, là où Beethoven occupa plusieurs demeures.
le Konvikt où Schubert apprit la musique
Rondo
1827 et 1828. Schubert atteint sa trentième année, et bien qu’il soit toujours dans l’ombre de Beethoven, qui vient de décéder en mars 1827, il peut s’enorgueillir d’avoir accédé à une certaine notoriété. C’est à cette époque qu’il composé ses deux merveilleux « Trios avec piano » (opus 99 et 100) qui resteront à jamais des pièces d’anthologie, interprétés aujourd’hui sur toutes les scènes du monde. Le divertimento du 18e siècle devenait majeur à l’égal du quatuor à cordes, passant pour l’occasion de trois à quatre mouvements.
Le 1er septembre 1828, il part habiter dans la maison de son frère Ferdinand dans le quartier de Wieden, au sud de la capitale. Il profite ici d’un grand appartement au second étage d’une maison très viennoise avec ses paliers ouvrant sur une cour intérieure. Malade depuis longtemps de la syphilis, il y décède le 19 novembre 1828.
Mais jusqu’à son ultime souffle il continuera d’écrire : « Je suis sur terre pour composer et rien d’autre » expliquait-il à ses proches. Il sera enterré au « carré des musiciens », à côté de Beethoven selon son souhait, au Zentralfriedhof (le cimetière central).
la dernière demeure Kettenbrüchengasse
Une symphonie inachevée…
C’est le mystère entourant la vie de Schubert : il abandonna de nombreuses œuvres en cours d’écriture. Mais comme il n’a laissé aucun écrit concernant ses intentions du moment, on ne peut qu’émettre des hypothèses sur ces œuvres « inachevées ».
Mais est-ce important ? Même la « Symphonie inachevée » ravit ses auditeurs depuis des décennies avec seulement deux mouvements orchestrés par le compositeur.
Au bout de ce parcours viennois qui nous a permis de croiser à la fois des quartiers populaires et les grandes rues centrales bordées de palais majestueux, plus quelques monuments splendides de cette ex-capitale d’empire, on peut aujourd’hui se demander comment, au terme d’une vie si courte, Franz Schubert a pu nous laisser un tel florilège allant de la légèreté et de la grâce d’un Quintette pour piano baptisé « Die Forelle » (« La Truite ») au genre très rock’n’roll et puissant (avec un siècle et demi d’avance) du Quintette à cordes en ut majeur, sans oublier les symphonies, les lieder, les sonates, les rondos et les messes.
Alors, si un jour prochain vous passez par Wien, n’oubliez pas qu’avec Mozart et Beethoven, un autre homme a contribué énormément à la prospérité de cette ville : il s’appelle Franz Schubert, il y est né, il y a vécu toute sa vie, il y est mort.
(reportage et photos Le Chroniqueur)
LE CHRONIQUEUR
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