1981 : désormais tout peut arriver…
Après vingt trois années de règne sans partage la droite a pris des habitudes, les mauvaises habitudes de ceux à qui rien ne peut arriver. Mais c’était sans compter sur Jacques Chirac bien décidé à se payer Giscard, y compris au prix d’une victoire de la gauche. Même pas grave, on gagnera la suivante, mais ce sera la suivante de la suivante. Mais revenons en 1981…
A la fin de son septennat, tout semble baigner pour le Président Giscard d’Estaing. Lui-même le rappelle, « les sondages étaient excellents et me plaçaient à plus de 60% ». Des réformes accomplies comme la majorité à 18 ans et la loi sur l’avortement, des finances plutôt saines malgré les chocs pétroliers, un Premier Ministre M. Barre qualifié alors de meilleur économiste de France, bref, pas de quoi s’inquiéter d’un François Mitterrand déjà battu à deux reprises (1965 et 1974).
Le 16 mars, à un mois du premier tour, un sondage (Public SA) donnait Giscard à 30%, Mitterrand à 24,5%, Marchais à 16 et Chirac à 13. A six jours de ce même 1er tour, Giscard était encore à 27,5, il fera 28, Mitterrand était à 22, il fera 26.
Durant toute la campagne et jusqu’aux résultats du premier tour, Giscard a fait la course en tête. Le 15 avril (Sofres), 52% des personnes interrogées pensent que le Président sera réélu, 21% seulement croient dans les chances de Mitterrand. Ce même Président pouvait se targuer de posséder la cote d’antipathie la plus faible (11%), contre 19% à Mitterrand, et surtout 45 et 48 à Chirac et Marchais. On sait ce qu’il s’est passé le 10 mai 1981. L’élection de François Mitterrand fut-elle une réelle surprise ? Pour l’opinion mal préparée oui, pour ceux qui savent lire les sondages et notamment les courbes ascendantes et descendantes, non. Pour eux, le redressement de Mitterrand était prévisible depuis au moins trois mois : la courbe de ceux qui voyaient l’action de VGE positive passa de 50 à 35%, et ceux qui la jugeaient négative de 35 à 50%.
Bien sûr, le coup de pouce de Chirac et de son RPR n’est pas à négliger. Ce même Chirac paiera cash sa dette à la présidentielle de 1988. Face à un Mitterrand qui a perdu les législatives et a été obligé de nommer le chef du RPR à Matignon, qui a fait entrer le FN à l’Assemblée, et qui traîne le désastre économique des années 81/85, le Premier Ministre de la cohabitation avait toutes les cartes gagnantes. Pourtant la prime au sortant a joué à fond, et les maladresses d’un RPR dominant, notamment vis-à-vis de la candidature de Raymond Barre, furent néfastes au maire de Paris.
Le boomerang lancé en 1981 lui revenait en pleine figure !
Les temps modernes
A l’usure, comme François Mitterrand, au troisième essai, Chirac finit par décrocher le job en 1995. Sa chance aura été de se retrouver en duel interne avec son ami de trente ans. Balladur est passé pour un traître, un marquis, un représentant de la grande bourgeoisie, et malgré des scores de « dictateur » dans les sondages à quelques mois de l’élection, lui aussi sera balayé. Là encore, il fallait lire les courbes ascendantes et descendantes qui, au plus près du premier tour, finissent par se croiser. Et tout bascule.
Il nous reste les deux dernières présidentielles qui font partie d’une ère nouvelle à tous égards
En 2002, le Président Chirac aborde l’élection le réservoir à sec, quasiment contraint de finir avec les rames. Depuis cinq ans, Lionel Jospin et sa Gauche Plurielle squattent les ministères. Chirac est isolé, il lui reste les médailles et les chrysanthèmes. Sa grande chance, la multiplicité des candidatures à gauche, on le comprendra, mais après le premier tour. Avant, il ne fait aucun doute que c’est Jospin qui va l’emporter, et largement. Et c’est justement parce qu’il caracole en tête que les autres candidatures se matérialisent. Après tout, chacun veut marquer son territoire avant les législatives.
A quelques semaines du premier tour, les sondages ne sont certes plus mirifiques pour Jospin, mais il n’y a pas le feu : entre 19 et 21% pour Chirac en avril 2002, entre 17 et 19% pour Jospin, Le Pen est entre 11,5 et 14 selon les instituts.
Et l’extraordinaire réserve à gauche, qui se chiffrera à plus de 25% (Laguiller 5,7%, Chevènement 5,33%, Mamère 5,25%, Besancenot 4,25%, Hue 3,37%, Taubira 2,32%) laisse envisager une victoire à 55% pour Jospin au 2ème tour. Mais en deux semaines, tout semble avoir basculé dans le dos des sondeurs : Le Pen fait 3 points de plus que son meilleur sondage et Jospin 1 point de moins que son pire sondage.
On connaît la suite de ce fameux 22 avril.
Changement de situation en 2007, tous les candidats sont « neufs » et le marquage est précis. Si Ségolène Royal a fait toute la première partie de la campagne en tête, à partir de début 2007 les positions s’installent dans la durée. Sarkozy est à 53, Royal à 47… ils en resteront là. Il est d’ailleurs remarquable que la candidate du PS ait pu passer de 25,8%, son score au premier tour, à 47% au second tour, sachant que ses réserves à gauche ne dépassaient pas 6% (Buffet, Voynet, Laguiller et Bové). C’est chez Bayrou et Le Pen qu’elle puisa ce bonus.
On pourrait seulement dire que depuis 1974, l’élection de 2007 restera dans les anales comme la plus simple politiquement.
Où l’on voit arriver monsieur Mélenchon…
Sur le papier, au début, ça ressemble à 2007, un duel limpide avec Hollande qui remplace Royal, mais cette fois-ci Sarkozy n’a plus la main dès le départ. Comme en 2007, les autres partis de gauche risquent d’être laminés (Joly, Arthaud, Poutou seraient ensemble autour de 4%), enfin pas tous laminés, car cette fois-ci la réserve supplémentaire pourrait se situer autour de 10% avec les voix de Mélenchon, sans oublier des électeurs de Bayrou et de Le Pen qui rejoindront le candidat socialiste au 2ème tour. Et si François Hollande pointait par exemple à 25,8% au premier tour (le score de Royal en 2007), les reports de toute la gauche et les saupoudrages MoDem et FN, lui ouvriraient aisément les portes de l’Elysée. Les 47 de Royal se transformeraient en 53%.
Est-ce à dire que l’élection est d’ores et déjà pliée ? Oui à 70 ou 80%. Mais il y a la place pour une surprise du dernier moment, une mauvaise fin de campagne de Hollande, un face à face télévisé désastreux pour le favori, un événement imprévisible… ou bien un score de sénateur pour un Mélenchon qui deviendrait intraitable donc encombrant, et qui obligerait François Hollande à radicalement gauchiser son discours et ses nouvelles propositions d’entre les deux tours afin de récupérer ce qu’il aurait perdu sur sa gauche. Et à ce jeu-là, les électeurs de Bayrou (et de Marine Le Pen) auraient plus de mal à suivre la fin du film.
Et c’est sans doute là-dessus que compte Nicolas Sarkozy, un Jean-Luc Mélenchon à 15 ou 18%, juste en dessous d’un François Hollande à 22 ou 23%.
A partir de là tout recommence, tout est (re)jouable !
Jérôme Nimaud
LE CHRONIQUEUR
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