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Une Europe de Babel ?

13/04/2012
« Un jour viendra où l’on verra ces deux groupes immenses, les Etats-Unis d’Amérique et les Etats-Unis d’Europe, se tendre la main par-dessus les mers » pensait Victor Hugo au milieu du 19ème siècle. Cent ans plus tard, c’est Winston Churchill qui lançait l’idée, en 1946, des Etats-Unis d’Europe, une Europe que de Gaulle voyait peut-être « de l’Atlantique à l’Oural ».
Quoi qu’il en soit, ce qui fut d’abord un traité entre quelques pays sur la libre circulation de matières premières, avec l’idée d’y inclure d’emblée une Allemagne défaite, est devenu au fil des décennies une véritable entité économique et politique. Mais a-t-on vu trop grand et trop vite ?
Cette Europe qui fonctionnait plutôt pas mal à 15 serait-elle devenue une usine à gaz à 27, et ce après les deux vagues successives d’adhésions de 2004 et 2007 ?

 

 

Les travaux sont interrompus…

La Tour de Babel devait permettre aux habitants de Babylone d’atteindre le ciel, c’est du moins ce que Nemrod voulait. Mais la construction cessa faute de compréhension entre ces hommes bâtisseurs qui ne parlaient pas la même langue. En serions-nous à nouveau là avec cette construction européenne attaquée de toutes parts de l’intérieur même de sa structure ? Nous ne parlons pas la même langue certes, mais l’incompréhension s’est aggravée au fur et à mesure de la crise, tant entre pays qu’entre habitants d’un même pays. Et on le constate aujourd’hui en France avec une campagne pour l’élection présidentielle qui met en compétition deux visions de l’Europe, l’une qui demande encore plus d’Europe, ou du moins la continuité « accompagnée », et on retrouve cette vision de Sarkozy à Hollande en passant par Bayrou, et une autre qui va de restrictions en démantèlement pur et dur, et c’est quasiment la moitié des candidats qui se retrouve sur ce créneau-là, Marine Le Pen, Philippe Poutou, Nicolas Dupont-Aignan, et même Jean-Luc Mélenchon… tous s’en prennent à cette Europe responsable de tous nos maux.

 

Haro sur la BCE !

Trop facile dira-t-on ? Pas tant que ça ! Le rôle de la BCE, par exemple, est fortement critiqué parce que justement on touche là à l’essentiel, aux fondements de l’indépendance nationale, le droit de frapper monnaie, le droit de permettre à la banque nationale de prêter à taux zéro pour boucler les budgets, au lieu d’être contraint d’emprunter sur les marchés à 5, 6 ou 7%, voire davantage.

Actuellement, la BCE dispose d’environ 800 milliards d’euros de liquidités mis à la disposition des banques. Et pourquoi ces intermédiaires bancaires s’interrogent les tenants d’une sortie de l’euro et de cette tutelle européenne, tutelle logée d’ailleurs du côté allemand du Rhin, à Francfort ?

Contrairement à ce que pensait Montesquieu, l’Europe n’est pas « un état composé de plusieurs provinces », l’Europe ne sera jamais à l’image des Etats-Unis d’Amérique que l’on peut assimiler à plusieurs provinces d’une même nation. Hormis un fort ancrage chrétien – que certains contestent avec une argumentation exclusivement politique qui n’a pas de sens si l’on veut au moins se découvrir un héritage commun -, cette Europe des 27 d’aujourd’hui est avant tout composée de nations qui ont des parcours communs au sein d’un groupe, ces différents groupes étant parfois aux antipodes en matières économique, sociale, voire politique.

 

Europe à 27, à 33, à 35 ?

Déjà, l’arrivée de l’Espagne, du Portugal, de la Grèce dans un club de pays dits riches dans les années 80 ne fut pas sans secousses. Mais lorsque ce même club s’est ouvert aux ex-républiques communistes de l’Est, c’est tout l’édifice social qui se découvrait et se mettait en danger extrême. Et on connaît la méthode, cela commence par les délocalisations, l’automobile a donné le « la » très vite : Roumanie, République Tchèque, Slovaquie, Slovénie accueillent, entre autres, les constructeurs français là où les salaires et la protection sociale restent compétitifs

par rapport à notre train de vie en la matière. Mais on sait ce qu’il va arriver par la suite. Ces pays vont nous tirer vers le bas si nous ne mettons pas de nouvelles règles… qui par ailleurs existent déjà dans certains domaines. Voulons-nous voir voler en éclats notre protection sociale, notre salaire minimum, notre système de pensions ? Alors passons vite de 27 à 33, 34 ou 35, accueillons la Bosnie, la Géorgie, l’Ukraine, l’Albanie et encore quelques autres, et finançons leurs routes, leurs écoles, leurs hôpitaux, leur agriculture, leur chômage à 40% et leurs dettes, acceptons aussi de jouer les gendarmes impuissants face à leurs conflits internes, leurs mafias, leurs trafics, et ce au détriment de notre expansion. Ah oui, c’est de l’égoïsme, mais avez-vous une autre solution ?

 

Canal historique

On le constate, cette Europe à 27, où déjà tout le monde n’a pas voulu de la monnaie unique et commune (elle fut commune avant d’être unique), ne fonctionne pas sur le même secteur, certains sont sur le 110 et d’autres sur le 220 depuis longtemps. Déjà, il est parfois difficile d’accepter les diktats (ou veto) politiques de pays d’un ou deux millions d’habitants arrivés à la maison il y a cinq ou huit ans, et dont la voix est aussi prépondérante que celle de ceux qui ont créé le club il y a cinquante ans et qui représentent chacun entre 40 et 80 millions d’habitants pour les plus grands… et qui, de surcroît, paient les plus fortes cotisations avec comme pour la France un solde négatif de quelque sept milliards. Jacques Chirac avait eu en son temps, et à ce sujet, des propos pas très élégants face à un diktat de la Pologne, mais sur le fond il n’avait pas tort !

Avec la mondialisation, avec la crise, avec les bouleversements économiques et la nécessité nouvelle de gérer les budgets nationaux comme on ne l’avait jamais fait ces trente dernières années, force est de constater que cette Europe idyllique ou utopique, ce vieux rêve d’Etats-Unis d’Europe, n’a plus sa place dans le cœur des habitants des quelques pays de l’acte fondateur, ceux issus du « canal historique ». Français, Allemands, Italiens, Britanniques, Hollandais… tous doutent aujourd’hui, tous doutent de la justesse de ces aides attribuées à des pays qui ont dépensé sans compter ce qu’ils ne gagnaient pas, en clair qui n’avaient pas les moyens de se payer nos déficits ou nos écarts de conduite financière. Alors oui, le doute s’est invité chez nous dans la campagne électorale, le doute, mais aussi la colère et le refus, comme ce doute sera présent en Allemagne à l’automne lors des élections législatives. Que fait-on avec la Grèce, avec le Portugal, avec l’Irlande, avec l’Espagne, mais que fait-on également avec tous ces pays débarrassés de l’obédience communiste depuis vingt ans et qui eux aussi veulent faire partie des VIP de l’Europe, mais sans vouloir toujours appliquer le règlement ?

 

Nettoyer nos écuries d’Augias

Europe de Babel ou Europe passoire, chacun aura l’Europe et l’euro en tête au moment de voter. Dans un monde qui va trop vite pour nos vieilles habitudes de citoyens d’un Vieux Continent qui pense encore pouvoir être maître de sa destinée, l’Asie et l’Amérique du Sud nous regardent, Chine, Corée, Inde, Brésil, Indonésie… tous attendent que nous trébuchions pour nous mettre un peu plus à leur merci : ils fabriquent, ils vendent, nous achetons et nous nous appauvrissons chaque jour davantage parce que nos coûts de production sont immensément plus élevés. Si nous ne pouvons pas agir sur ces pays-là, au moins mettons de l’ordre chez nous en Europe, commençons par nettoyer nos écuries d’Augias. Et Hercule ne sera pas de trop ! Revenons à une Europe d’échanges à plusieurs niveaux qui nous éviterait de tout tirer vers le bas parce qu’il faut se mettre systématiquement au niveau le plus compétitif. Revenons à l’Europe canal historique comme on l’a dit, et nous verrons que l’euro n’est pas un problème mais un fabuleux outil de prospérité, cette prospérité qui nous manque tant actuellement.

Babel ne montera pas jusqu’au ciel on le sait, Babel n’est qu’une utopie, un rêve, désormais il faut très vite se réveiller. 

Après, nous pourrons toujours méditer sur cette phrase que Paul Valéry écrivit en 1919 au sortir de cette tragédie que fut la Première Guerre Mondiale : « L’Europe deviendra-t-elle ce qu’elle est en réalité, c'est-à-dire un petit cap du continent asiatique ? Ou bien l’Europe restera-t-elle ce qu’elle paraît, c'est-à-dire la partie précieuse de l’univers terrestre, la perle de la sphère, le cerveau d’un vaste corps ? » A méditer…

 

Jean-Yves Curtaud

 

 

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