Ouvrez le bocal à couleuvres !
François Hollande pouvait, dimanche soir, se féliciter du soutien inconditionnel du candidat du Front de Gauche, il ne perd rien pour attendre. Bien sûr, l’heure est à la mobilisation pour faire battre Sarkozy, et curieusement les programmes sont mis en stand by. « On verra plus tard » semblait concéder le chef de bureau de la lutte des classes. On verra plus tard… Mais plus tard quand ? Est-ce que cela ne débuterait pas le 7 mai au matin avec un François Hollande tout rouge (rose, pardon !) de bonheur d’avoir décroché le pompon au deuxième tour de manège ? Président certes, mais avec quel programme ? Pensez-vous que Mélenchon va s’asseoir sur son énumération à la Prévert des urgences compilées par lui et ses amis communistes, et que François Hollande pourra accepter, entre autres, « le pôle bancaire public, l’assemblée constituante élue par le peuple, le droit de veto sur les licenciements, la fin de la libre circulation des capitaux et des marchandises, le smic à 1700 €, la titularisation des 800.000 précaires de la Fonction Publique, la retraite à 60 ans pour tous et sans conditions, le pôle public de l’énergie, pas d’écart supérieur de 1 à 20 entre les salaires les plus bas et les plus élevés, le blocage et la baisse des loyers, la réquisition des logements vides, le remboursement à 100% des besoins de santé (une CMU pour tout le monde !), l’abrogation d’Hadopi et l’interdiction de toute brevetabilité du vivant », en clair la suppression des droits d’auteur et de propriété ? Car c’est tout cela le programme du Front de Gauche.
Mais jusqu’au 6 mai ce sera « je vous en prie M. Hollande, faites comme bon vous semblera ! »
Blum bis ?
Mais que se passera-t-il après ? François Hollande et les socialistes sont-ils à ce point naïfs, ont-ils oublié les leçons de l’histoire ? N’est pas Mitterrand qui veut ou qui peut. Alors on additionne les voix pour gagner, pour gagner et après on verra. Comme en 1936 avec la victoire du Front Populaire, une victoire de la gauche unie, la première sous la 3ème République, SFIO (l’ancêtre du PS), Parti Radical et Parti Communiste main dans la main, bras dessus, bras dessous, encore mieux qu’avec le Cartel des Gauche en 1924.
Une belle victoire comme on la souhaite en 2012 ! Mais souvenons-nous que les communistes refusèrent alors de participer au gouvernement (comme le Front de Gauche l’a annoncé), et dans la foulée de ce triomphe du front Populaire la France dû subir le plus colossal mouvement de grèves jamais connu.
Le 11 mai, soit huit jours après la victoire du Front Populaire avec 386 sièges sur 608 (ce ne fut tout de même pas le ras de marée attendu), les premiers conflits éclatèrent au Havre puis à Toulouse dans les usines d’aviation Breguet et Latécoère. Le 24 mai, plus de 600.000 personnes défilaient à Paris sous le drapeau rouge, le 28 mai Renault entrait en grève, et la semaine suivante on dénombrait quelque 12.000 entreprises en grève dans le pays. Le climat était révolutionnaire… alors que le gouvernement n’avait pas encore été formé, il le sera le 4 juin.
Le Parti Communiste et les syndicats affiliés avaient profité d’une victoire de la gauche unie pour imposer leurs propositions par la rue et par la force. Les accords furent signés à Matignon le 8 juin : 12% d’augmentation des salaires en moyenne, semaine de 48 à 40 heures, deux semaines de congés payés et une politique de nationalisations. L’euphorie de la victoire du 3 mai ne dura que huit jours. Le 21 juin de l’année suivante, Léon Blum jetait l’éponge. Contrairement au film de Julien Duvivier sorti à cette époque, il ne s’agissait vraiment pas d’une « Belle équipe ».
Quant au slogan du Front Populaire, il annonçait « Pain, Paix, Liberté ». Quatre ans plus tard, le pain était vendu avec des tickets, la paix avait volé en éclats, et la liberté était sous le contrôle de l’occupant. Et dans la foulée, l’une des trois mouvances du Front, le PCF, approuvait la signature du pacte germano-soviétique.
A chacun son époque
Tout de suite, et heureusement, on écartera le risque de guerre. Mais pour le reste ? Mélenchon vient de tendre un incroyable piège aux socialistes, ces socialistes qu’il a critiqués durant toute la campagne, les assimilant souvent au libéralisme sauvage et au camp UMP.
«C’est pour le reste de l’Europe qu’il faut faire tomber le couple Sarkozy – Merkel » tonne-t-il désormais. C’est quasi un apôtre de la bonne parole chargé d’amour et de bonnes choses à partager. Mais quel apôtre… et si c’était Judas ? Son soutien inconditionnel ne peut être franc au-delà du 6 mai, la date de péremption doit être cachée quelque part. Bien sûr qu’il lui faut un socialiste à l’Elysée, pour négocier des circonscriptions et le faire plier par la rue.
Alors, que François Hollande soit élu Président de la République ma foi c’est la démocratie, ce serait le choix des électeurs, mais qu’il ne trompe pas le pays en reprenant, après l’élection, et ce afin d’éviter de longues et coûteuses grèves, une partie du programme de celui qui mène un combat pour le retour de la dictature du prolétariat. Enfin, c’est ce qu’il dit, cela n’engage que ceux qui l’écoutent et qui y croient.
J. Nimaud
LE CHRONIQUEUR
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