« Grand comme le monde »
De l’autre côté de la Manche, un homme est à l’apogée de sa carrière, il a déjà composé une multitude d’œuvres instrumentales et chantées, cet homme est « grand comme le monde » dira de lui bien plus tard le compositeur Franz Liszt. Cet homme, c’est Georg Friedrich Haendel (ou Handel), il s’est définitivement installé sur les terres du royaume d’Angleterre à partir de 1712, il y a donc pile trois cents ans.
Grand voyageur, curieux de tout, formidable théoricien de la musique et génie de l’improvisation devant un clavier, Haendel est né, comme son « collègue » Bach, qui signe cette même année 1733 sa magnifique « Messe en si mineur », dans le Brandebourg, à Halle le 23 février 1685.
Grand voyageur certainement, car après avoir étudié la musique en Allemagne, ce qui fâcha son père, il partira pour l’Italie (de 1706 à 1710), reviendra en Allemagne, avant de rejoindre l’Angleterre. Mais ces quelques années italiennes marqueront à jamais sa verve inspiratrice, on lui doit quarante-deux opéras quasiment tous sous la domination du drame italien. Etrangement, le dernier qu’il écrira en 1750, « Alceste », sera l’un des rares à ne pas suivre cette influence de « l’opera seria » auquel il fut assimilé, peut-être parce qu’il a toujours eu le goût des belles mélodies.
1733
Le 18ème siècle faisait feu de tout bois pour marquer sa différence en de nombreux domaines. La musique fut aux avant-postes de ce message intellectuel, mais les savants et inventeurs ne s’en laissèrent pas compter. Ainsi, au moment où Haendel présentait au King’s Theatre de Londres « Orlando », son 31ème opéra, à Paris l’Académie des Sciences se lançait dans le calcul de la vitesse du son, Charles du Fay nous en apprenait de belles sur l’électricité positive et négative, alors que Cassini entreprenait la cartographie complète du royaume. Les Anglais n’étaient pas absents de cet inventaire, John Kay mettait au point, lui aussi en 1733, la « navette volante » qui évitait à l’ouvrier de tirer le coton à la main sur son métier à tisser.
A Paris, le roi voulait être l’érudit qui apporterait à la France le bénéfice de son ouverture d’esprit, à Londres le public ne se lassait pas de découvrir régulièrement de nouvelles œuvres de cet Allemand exilé au bord de la Tamise, et qui d’ailleurs se fera naturaliser.
Depuis son premier opéra créé à Londres en 1711, Rinaldo, dans lequel figure sûrement l’un des plus beaux airs du répertoire baroque, le « Lascia ch’io pianga » d’Almirena au deuxième acte, débuta entre le compositeur et le public anglais une ère de confiance absolue, confiance qui ne se démentira jamais durant plusieurs décennies, Londres fut à cette époque la capitale de l’opéra en Europe. Fort de cette confiance, Haendel se verra confier l’éducation musicale des enfants du roi. Il sera toujours protégé par la famille royale, il recevra même une pension pour avoir écrit une Ode à la reine Anne à l’occasion d’un anniversaire.
C’est le 27 janvier de l’année 1733 que sera créé « Orlando » sur un livret du Roland Furieux de Ludovico Ariosto, dit L’Arioste. Et retour à « Rinaldo » évoqué plus avant, car le thème d’Orlando fait lui aussi appel à la lutte des Croisés contre les Sarrasins. Orlando c’est Roland, Roland et la légende. Ici, le chevalier tombe amoureux d’Angélique la princesse d’Orient, puis s’en va en guerre… on va même y croiser Charlemagne. On retrouve les excès amoureux, la folie, les combats, il faut beaucoup de vie et de passion dans l’interprétation pour authentifier ces sentiments dans les nombreux airs. Dans « Orlando », on va même découvrir le Mage Zoroastre… en prélude peut-être à une certaine « Flûte enchantée ».
Ce poème d’Ariosto, écrit en 46 chants, date du 16ème siècle, mais c’est une musique moderne – qui est terriblement efficace trois siècles plus tard ! – qu’écrira Haendel pour faire chanter les mots et les maux du poète, un Haendel ostensiblement influencé par ses maîtres, certes on pensera à Scarlatti et Corelli, mais également Lully pour le Français, et Purcell pour l’Anglais. Un Purcell qui, quelques années auparavant, avait tenté, en compagnie de John Blow, de créer un opéra national en Angleterre, mais sans succès.
En cette année 1733, avec Haendel et Bach, la musique baroque est à son apogée, les palettes orchestrales sont luxuriantes, et les mélodies ont le sens du beau et du simple. Quelque chose que nous avons certainement perdue depuis longtemps…
Avant les « Feux d’artifice »…
« Orlando » est l’un des opéras majeurs de Haendel, il est peut-être le dernier à avoir enthousiasmé le public. Les grands chanteurs qui firent de Londres la première place européenne pour l’opéra, s’en iront très vite sous d’autres cieux après avoir quitté la Royal Academy. Le compositeur menait alors un combat qu’il savait perdu d’avance. Il y aura encore « Alcina », il y aura « Serse », opéra que l’on dira comique ou mozartien, mais Haendel avait entrepris une reconversion du côté de l’oratorio et d’autres styles plus galants ou d’apparat comme cette « Musique pour les Feux d’artifice royaux », qui nous rappelle la « Water Music » qui elle date de 1717, et qui fut jouée à l’occasion de la descente du roi George 1er sur la Tamise. Cette partition sera d’ailleurs publiée en 1733. Et que dire de son « Messie », œuvre continuellement jouée en Angleterre depuis sa création en 1741 ?
Autant d’œuvres majeures écrites par Haendel durant les 26 années qui le séparent d’Orlando et de sa mort : il s’éteint à Londres le 14 avril 1759, il sera inhumé en l’Abbaye de Westminster en présence de quelque trois mille personnes. Voici ce que disait Aaron Hill, directeur de l’opéra, quelques mois après le décès du compositeur : « M. Handel, que le monde célèbre à juste titre, a fait parler sa musique d’elle-même si joliment que je garde à dessein le silence à ce propos. »
Fait rarissime à cette époque pour un musicien, Haendel laissait après sa mort une fortune colossale. Mais comme il n’avait pas d’héritier direct, une partie de son argent ira à des œuvres de charité.
Des références…
Deux versions d’Orlando à conseiller : la première par Les Arts Florissants de William Christie (Erato 1996) avec Harry Van der Kamp dans le rôle d’Orlando, la seconde par The Academy of Ancient Music de Christopher Hogwood (Decca 1991) avec James Bowman en Orlando.
et des rendez-vous
Haendel sera célébré cette année dans le cadre des festivités du Château de Versailles du 8 juin au 13 juillet à travers cinq opéras, quatre oratorios, trois grands galas et d’autres concerts auxquels participeront, entre autres, Marc Minkowski, Jordi Savall, Cécilia Bartoli, Christophe Rousset, Paul McCreesh, Alexandre Tharaud… Renseignements : infos@chateauversailles-spectacles.fr (ou au 01 30 83 78 89).
Festival Haendel encore à Halle sa ville natale (38 km de Leipzig) du 31 mai au 10 juin (renseignements www.haendelfestspiele.halle.de)
Le Messie sera joué en mai dans le sud, le 11 mai à la Cathédrale Saint-Sauveur d’Aix-en-Provence, le 12 mai en l’église Saint-Nicolas de Pertuis dans le Luberon, le 13 mai en l’église de Jouques.
A noter encore que chaque année, en mars et avril, se déroule le London Handel Festival (à Londres bien sûr).
Jean-Yves Curtaud
LE CHRONIQUEUR
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