« Mourir pour Dantzig »
Serions-nous hors sujet ? Pas vraiment, car « Faut-il mourir pour Dantzig » fut la première question posée aux Français lors du premier sondage politique réalisé dans l’Hexagone en 1938. En clair, on demandait aux Français si leur pays devait honorer ses engagements en protégeant la Pologne, son alliée, contre une éventuelle invasion allemande. On connaît la suite, qu’on ait dit oui ou qu’on ait dit non, nous avons eu la guerre.
A quoi servit donc ce sondage, à quoi servirait-il aujourd’hui, sinon influencer les décisionnaires, si un pays – et je vous laisse le choix ! – avait une attitude plus que belliqueuse sur une partie de notre territoire, voire celui d’une nation alliée ? « Faut-il mourir pour Rome, pour Athènes, ou même pour Marseille ? » Avec l’esprit pétochard qui est quasiment devenu une seconde nature chez nous qui avons peur de tout, y compris du doute et de notre ombre, et ça ne fait pas l’ombre d’un doute comme l’aurait si bien dit Raymond Devos, la réponse serait non 72%, oui 18%, ne se prononcent pas ou ont déjà quitté le pays 10%. Certes, on irait bien mourir pour sauver l’OM ou le PSG d’une descente en D2, mais pas pour son pays. Et ce sont les sondeurs qui nous le diraient… avant !
Faire l’opinion ?
C’est un peu comme l’histoire de l’œuf et de la poule… ou du dindon parfois. Qui a commencé ? Est-ce qu’on lâche Sarkozy parce que depuis septembre 2007 les sondeurs nous prédisent qu’il sera forcément battu, ou va-t-on vers Hollande afin de consolider cette position « outrageusement » devancière, histoire de faire partie du coup gagnant ? Vous me direz, à l’arrivée c’est pareil. Mais comme on sait qu’une telle élection va se jouer à la marge, c’est sur cette marge que les chiffres vont travailler, sur cette partie de l’électorat sans vraiment de convictions tranchées, qui vote un coup ici et un coup là, et qui représente entre 500.000 et 1,5 million d’électeurs (entre 2 et 4% pour l’écart final entre deux candidats).
Or nous avons pu le constater une fois encore, l’écart à l’arrivée entre Hollande et Sarkozy fut de 3 points, alors que quelques jours auparavant on nous prédisait un différentiel de 10 points.
Mais ils ne se trompent jamais ! Chacun aura pu le vérifier lors du premier tour, Sarkozy « dévissait » chaque jour davantage, Mélenchon était bien le troisième homme à 17 ou 18%, Marine Le Pen s’effondrait vers les 10%. On connaît la suite. Et alors ? Que faites-vous du fameux « intervalle d’erreur » ? On peut vous prédire un score de 12% en moyenne sur un résultat possible entre 8 et 16 %, cela nous fera quatre points au-dessus et quatre points en dessous. Donc Mélenchon à 11% au premier tour, c’est également Mélenchon entre 8 et 16%. Tout juste ! Mais le score prédit, imprimé dans les journaux, commenté en télé et radio ce fut Mélenchon à 16%... pas à 8%.
D’où la dénonciation de manipulation que certains partis peuvent mettre en avant selon la manière dont ils sont « traités ».
Une véritable réglementation
Peut-on, au nom de la liberté d’informer, interdire les sondages politiques en période électorale ? Non bien sûr, mais la liberté d’informer peut-elle se satisfaire de marges d’erreur officielles ? Accepterions-nous que l’on nous annonce que la France a battu l’Allemagne en finale d’un championnat européen par 8 à 1, alors qu’en fait il y eut 4 à 2 pour l’Allemagne ? Que l’on nous prédise l’arrivée de très fortes chutes de neige entre le 2 et le 10 janvier ? Que l’impôt sur le revenu augmentera de 8 à 16% ?
Liberté d’informer oui, mais avec son corollaire de sanctions pénales lorsque l’information est fausse, voire manipulée ou d’un contenu tellement approximatif qu’il en a résulté sur l’opinion des conséquences suscitant le doute ou une perturbation avérée dans le jugement.
Vous imaginez si, par exemple, trois mois avant une élection il n’était plus possible de publier (et de réaliser) des sondages mettant en scène ce fameux panel de mille Français représentatifs, paraît-il, de plus de quarante millions d’électeurs ? Depuis le 22 janvier de cette année, nous n’aurions eu que « notre propre opinion pour nous faire une opinion » sur tel ou tel candidat ? Terminé l’effet de groupe, terminée l’incitation déguisée, terminée la fameuse marge d’erreur, et surtout terminée cette présence quasi quotidienne et insupportable des sondeurs dans les débats politiques où seuls des journalistes et des économistes devraient avoir leur place. Entendre le représentant d’un institut de sondage nous expliquer que tel candidat devrait plutôt parler de ceci ou de cela dans son programme est inadmissible. A chacun son métier.
Et c’est reparti !
Mais c’est le spectacle, le grand show des élections, à tel point que le grand débat télévisé de l’entre deux tours n’est plus animé par des journalistes politiques mais par les présentateurs vedettes des chaînes. La prochaine fois on attend des écrans pub !
Les sondeurs façonnent-ils l’opinion jusqu’à démobiliser ou déstabiliser nombre d’électeurs ? Chacun se fera son opinion. Mais durant deux mois, je n’ai entendu autour de moi que des gens de droite dire « c’est fichu », et des gens de gauche « c’est plié ! ». Qu’en savaient-ils ? Pile ce que les sondeurs leur avaient dit.
Et d’ailleurs c’est reparti avec les législatives. Un premier sondage CSA réalisé après le 6 mai donne 32% au PS pour le premier tour, 33 à l’UMP et 12 au FN… alors que celui de l’institut Harris Interactive annonce 26% pour le PS (6 points de moins), 32 pour l’UMP (stabilité entre les deux instituts) et 17% au FN (5 points de plus).
C’est le moment de ressortir la marge d’erreur…
J. Nimaud
LE CHRONIQUEUR
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