En avant la réforme ?
Pas si vite ! Déjà, quid de l’une des promesses phares du candidat-président : le vote des étrangers ? On le sait, pour mener à bien ce changement, il faut aussi réformer la Constitution, donc convoquer en Congrès députés et sénateurs. Et tout changement de la Constitution nécessite d’avoir une « majorité qualifiée », à savoir les 3/5èmes de l’ensemble des deux chambres, soit 555 voix. Or, avec le score réalisé par la gauche aux législatives, plus les 177 sièges de sénateur qu’elle occupe actuellement, elle n’a pas cette majorité qualifiée. Et voici déjà une proposition à la case « remise à plus tard »…
Pour le reste, le Parti Socialiste a les mains libres pour mener sa politique, toute sa politique. Sauf bien entendu si une tempête de force 10 nous arrive de face. Et il y aura forcément une tempête, plusieurs peut-être. Mais au moins, normalement, le PS pourra se passer de l’avis de ses alliés les plus encombrants sur quelques dossiers délicats puisqu’il a la majorité à lui seul. Les godillots ont changé de camp !
Analyse d’une défaite
Des gens très intelligents analyseront à froid les raisons de cette défaite. Ils ne manqueront pas d’aller chercher le plus petit dénominateur commun à leur suffisance, histoire de ne pas déranger la tiédeur ambiante. Mais si on préfère analyser plus globalement et un peu à chaud, là où les écarts sont tangibles, l’évidence sera encore le critérium de la vérité : en 2007, le Front National totalisait (avec Jean-Marie Le Pen) 3,8 millions de suffrages au premier tour de la présidentielle, en 2012 il a atteint (avec Marine Le Pen) 6,4 millions de suffrages. Plus de 2,5 millions de voix en bonus, là où Nicolas Sarkozy perd quelque deux millions de voix entre son premier tour de 2007 et celui de 2012.
Nicolas Sarkozy fut élu, non pas pour sa bonne tête ou son programme économique, mais sur sa volonté affichée durant la campagne de 2006/2007 de mettre la sécurité et le « nettoyage des banlieues » (c’est lui qui le disait) en tête de ses préoccupations. Cinq ans plus tard, les caïds et les zones de non droit ont proliféré, les électeurs lui ont fait payer cash ce reniement.
Après, chacun peut estimer à bon escient (ou pas) ce programme à l’aulne de sa conscience, mais il est évident que les électeurs qui ont fait défaut au Président sortant le 6 mai n’en pensaient pas moins ! Et comme de la présidentielle aux législatives il n’y a qu’un petit mois d’un calendrier de base, rien ne pouvait inverser ce mouvement abstentionniste tant le 6 mai que le 17 juin, une abstention pour un vote Sarkozy ou une abstention en restant tout simplement à la maison lors des législatives.
Car la défaite de l’UMP est principalement ici : l’électorat de la droite républicaine a préféré la pêche à la truite ou le week-end au soleil aux charmes désuets d’un isoloir planté au milieu d’une polyvalente en bois des Landes. Si le vote était obligatoire, peut-être aurions-nous d’autres résultats sur les tableaux, mais si ma sœur en avait… On peut seulement regretter, une fois encore, le développement d’une opinion prédigérée insufflée à l’électorat par les sondeurs : depuis le lendemain de la présidentielle on nous bassine avec le même discours : la gauche va gagner les législatives. Il n’en fallait pas davantage pour démobiliser un électorat de la droite modérée qui, il faut bien l’avouer, est défaitiste dans l’âme.
A chacun son boulet
La gauche revient totalement aux affaires, encore plus « totalement » oserais-je dire, président, gouvernement, assemblée nationale, sénat, 23 régions sur 26, 61 départements sur 101 et 29 grandes villes sur 41. Ce n’est peut-être que le fruit d’un long travail de terrain, car tout est parti de la base. Souvenons-nous qu’en 1993, il ne restait que 57 députés au Parti Socialiste, et il n’en avait que 141 en 2002. Les défaites nationales s’accumulaient alors que dans le même temps le parti raflait toutes les mises régionales, départementales et municipales. C’est donc bien la base qui a fourni de nouveaux élus, ces députés d’aujourd’hui, des hommes et des femmes qui se sont fait connaître localement. A l’inverse, l’UMP a entretenu des bataillons de stars, des cohortes de ministres et ex-ministres qui n’ont pas vu venir le boulet.
Le retour sera long car tout est à reconquérir, tout est à refaire. 2012 sera l’année de nombreuses retraites forcées, des vedettes qui ont peut-être mené le combat de trop.
D’ici à vingt mois, il y aura les élections municipales, et l’UMP serait bien avisée de ne pas seulement compter sur les erreurs que la gauche pourrait commettre en quelques mois, le temps est venu de faire de véritables propositions, autant d’alternatives crédibles à la politique que les socialistes entendent mener et en laquelle, finalement, eu égard à la faible participation de ce 17 juin, les Français n’ont pas massivement adhéré. N’oublions pas que cette belle majorité de gauche n’est issue que d’un tiers des électeurs inscrits. Mais après tout, c’est ainsi que fonctionne la démocratie : savoir accepter.
Jean-Yves Curtaud
LE CHRONIQUEUR
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