A bout de souffle…
Nous n’avons apparemment plus envie de conquérir de nouvelles citadelles parce que repus de confort et trop occupés par ce besoin viscéral de loisirs. Pourtant, nous avons oublié que ce confort est extrêmement fongible, qu’il se réduira comme peau de chagrin (avec le chagrin qui va avec !) sans cette satanée croissance qui nous fait actuellement défaut et dont le retour n’est guère envisageable tant que nous n’évoluerons pas dans notre attitude roide face à tout changement.
Il faut se rendre à l’évidence après les sommations d’usage, il n’y aura plus de rabiot, et ceux qui promettent une tapée de réjouissances sociales supplémentaires pour tout de suite ne sont que des bonimenteurs et autres prébendiers de la République.
Comment peut-on faire croire que nous aurons les moyens de financer des dizaines de milliers de fonctionnaires supplémentaires, l’accession à 750.000 nouvelles CMU et quelques centaines de milliers de nouveaux postulants au RSA alors que la croissance fait un rond parfait mois après mois et que les plus grandes entreprises du pays, comme Renault vient de l’annoncer, se préparent à dégraisser leurs effectifs (flexibilité ou licenciements !) en vue des mauvaises années à venir ?
La franche lippée promise est un leurre et le gueuleton à l’œil pourrait bien se transformer en distribution de baffes. La « nouure sociale » se fera attendre mes braves !
Alors bien sûr, le bons sens voudrait que l’on jachérât ces secteurs économiques abandonnés ces vingt ou trente dernières années. Mais ne rêvons pas, nous ne réindustrialiserons pas le pays avec de bonnes fées penchées sur le berceau hexagonal. Et même si l’exemple allemand nous taraude l’esprit, n’oublions pas que nos chers voisins ont depuis longtemps choisi de s’investir durablement sur le travail bien fait et à forte plus-value plutôt que de songer à nous envahir une nouvelle fois.
Dans le même temps, il est peut-être judicieux de rappeler quelques fondamentaux en la matière, c'est-à-dire ce qui nous sépare en plus du fleuve Rhin : les dépenses publiques se montent à 45% du PIB chez Mme Merkel et à 56% chez M. Hollande, les prélèvements obligatoires sont à 39% chez Goethe et à 43% chez nous, la durée effective moyenne du travail (pour les salariés à plein temps) est de 1.904 heures/an en Allemagne contre 1.679 heures en France (source coe-rexecode 2012). Et lorsque nous affichons un déficit du commerce extérieur de plus de 50 milliards, nos concurrents germaniques affichent le même chiffre, mais en excédent.
Alors, alors nous cherchons de bon mots pour corriger nos maux, nous fouillons dans les tiroirs des fois qu’un sage levantin sur le métier avant les autres y ait laissé une quelconque carte à trésor, bref, nous sommes tellement plus intelligents que nos voisins que nous allons trouver la solution. Nous l’avons trouvée, ce serait un nouveau « new deal » - déjà un pléonasme ! – qu’un Roosevelt moderne et à lunettes sortirait de son chapeau. Elle est pas belle la vie ? Il suffit de le dire pour que ça marche. Organisons un nouveau « Bretton Woods » à Honfleur ou Cergy-Pontoise, et comme en 1933 réformons à marche forcée, faisons plier les banques, prenons aux uns pour donner aux autres, et repartons sur des bases saines pour une éternité définie en plans quinquennaux. Sauf que nous ne sommes pas dans le même environnement économique, et sauf que ce « new deal » était après tout américano-américain. Que vaudrait-il aujourd’hui dans une situation franco-française ? Rien. Voilà comment on peut mettre des mots sur les maux, pour ne rien dire, pour ne rien faire.
Mutualisons nos problèmes
Ou alors laissons faire l’Europe. Problème, le budget de l’Union Européenne est d’environ 150 milliards, ce qui fait penser à un pourboire face aux 20.000 milliards qui représentent la totalité des budgets des 27. L’Europe n’a pas vraiment les moyens d’agir efficacement, et quand on entend que les British pourraient peut-être filer à l’anglaise en 2015, pas besoin d’avertir les populations avec un hélicon pour comprendre que c’est uniquement par un fédéralisme économique que l’Europe aura les moyens d’agir. Au passage, rappelons qu’un hélicon n’est pas un imbécile qui vole à la verticale, puisqu’on sait que les imbéciles préfèrent voler en escadrille !
Mais ce fédéralisme économique, nos éminences politiques n’en veulent apparemment pas, sans doute y voient-ils la main de loups-cerviers prêts à mettre en pièces nos codes et autres reliquaires si efficaces à dissuader toute envie d’entreprendre et d’embaucher. Les récentes discussions entre syndicats et patronat ont montré à quel point nous sommes encore au milieu du 20ème siècle entre Vincent Auriol et René Coty.
La France et l’Allemagne viennent de chanter en chœur la coda de la Neuvième Symphonie de ce cher Beethoven, histoire de montrer au monde, c'est-à-dire à la France et à l’Allemagne, que depuis cinquante ans on va dans le bon sens. Mais loin des discours et des célébrations à petits fours, le constat n’est pas si glorieux. L’Allemagne n’est peut-être pas en très grande forme, mais il est évident qu’elle se porte bien mieux que nous à la fin du mois. Peut-être parce qu’elle est plus pragmatique que nous, donc plus réactive, donc plus efficace. Où serions-nous si nous avions dû racheter une RDA il y a vingt ans ?
Oui, ce « new deal » que nous cherchons est sous nos yeux, il a l’apparence d’un changement d’attitude vis-à-vis de ce que nous appelons les acquis, c’est la seule échappatoire à un enfoncement encore plus profond dans la crise. Retroussons les manches, oublions les jérémiades et tentons de travailler seulement 5% de plus pour rien. Pour rien oui et non, car c’est peut-être le meilleur placement pour l’avenir…
Jean-Yves Curtaud
LE CHRONIQUEUR
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