« Au cœur » de la majorité
Si Pierre Laurent se sent toujours « au cœur de la majorité », pour lui il est également évident, et ce sera le service minimum en l’occurrence, que « le gouvernement s’éloigne du centre de gravité de cette majorité populaire. »
Oui service minimum car il faut battre deux fers en même temps : continuer le combat dans le giron de Mélenchon et du Front de gauche, une alliance qui a permis au PCF d’éviter la saisie des meubles de famille, et ce tout en gardant un œil sur les prochaines échéances électorales locales, car n’oublions pas que le parti dirige encore 26 villes de plus de 30.000 habitants et quelques dizaines de plus de 10.000 habitants. Et sans l’allié socialiste, c’est tout ce maillage qui disparaîtrait, et avec lui une partie du financement des cadres.
Cet exercice d’équilibriste sera de plus en plus risqué au fur et à mesure de l’annonce de grands plans sociaux, et le parti ne pourra pas laisser indéfiniment seule la CGT monter au front, comme vient de le faire le nouveau patron de la centrale syndicale Thierry Lepaon, martelant que « Hollande s’inscrit dans la suite de Sarkozy. » Difficile aussi de botter en touche façon Georges Marchais devant l’insistance des médias, comme celui-ci le fit en janvier 1980 en direct d’URSS au moment de l’invasion de l’Afghanistan par les troupes soviétiques, déclarant à Yves Mourousi, « si vous menez l’interview de cette manière, je me lève et je vais me promener dans les rues de Moscou ! »
En clair, le 36ème Congrès a montré que le PCF pourrait vite se retrouver au 36ème dessous en cas de conflit ouvert avec son « cœur de majorité »… mais également se retrouver définitivement débordé sur sa gauche par un Mélenchon qui va jouer à fond la carte du combat social, notamment à l’occasion de l’élection européenne de 2014.
La lutte des classes en chantier…
Depuis le premier Congrès de 1921 à Marseille où l’on déclarait officiellement ouverte la chasse aux bourgeois par le biais de la lutte des classes, jusqu’à ce rendez-vous, 36ème du nom, soit quelque 93 ans plus tard, la déco n’a pas changé, seules la faucille et le marteau sont restés dans la boîte à outils, quant à cette fameuse lutte des classes sur fond rouge sang, elle sert toujours de soudure mais on sent bien que le cœur n’y est plus, on a beau dire qu’on ne cèdera sur rien, au bout du compte on sait qu’on cèdera sur à peu près tout. Il en va de l’existence même de la maison mère.
Alors on laissera Mélenchon monter la sono, lui n’a pas de biens historiques classés à préserver, il pourra même faire du Lénine dans le texte à chaque plan de licenciement… boursier : « Il suffira aux soviets de punir de la confiscation de tous leurs biens les capitalistes qui se refuseront à rendre les comptes les plus détaillés ou qui tromperont le peuple, pour briser sans effusion de sang toute résistance de la bourgeoisie. » Du Lénine de 1917 qui ferait un tabac sur les parkings PSA d’Aulnay, GoodYear d’Amiens ou Mittal de Florange.
En fait, depuis que le PCF a abandonné la dictature du prolétariat lors du 22ème Congrès de 1976, c’est un peu une main qu’il s’est coupée, et petit à petit il a vu son pire ennemi, l’extrême droite, entrer dans les ateliers et occuper la place qu’il a laissée vacante pour cause de respectabilité gouvernementale, d’abord sous François Mitterrand, puis avec Lionel Jospin. Il ne reste aujourd’hui qu’un Congrès où chacun a bien fait attention de ne pas dire un mot plus haut que l’autre.
Pierre Laurent œuvre dans le feutré et le bien élevé, il a presque un genre gentleman, on est loin des envolées d’antan. Et d’aucuns penseront à Marchais le hussite à l’humeur aigrie, hurlant à Gayssot et Bocquet, « mais il se cache où Lajoinie ? »
Jean-Yves Curtaud
LE CHRONIQUEUR
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