Place du Souvenir
Ce morceau de Mur, baptisé l’East Side Gallery depuis que des artistes, parfois célèbres, l’ont décoré au moment de la Réunification, devrait logiquement être démoli pour laisser place à des immeubles de luxe et autres hôtels que l’on dira « Resort » pour faire chic et branché. Officiellement, il s’agit de permettre la reconstruction d’un pont, du moins c’est la version de la mairie de Berlin. Mais quand on connaît le quartier où s’élève ce morceau de Mur, on imagine très vite que ce pont n’est qu’un prétexte bidon. Il est finalement navrant de constater que la société de ce début de 21ème siècle est prête à faire table rase de tout et n’importe quoi en avançant de fallacieux arguments évoquant le développement économique.
Il y a cinquante ans, le président Kennedy venait à Berlin pour signifier aux habitants de la ville, côté Ouest, qu’il était l’un d’entre eux : « Aujourd’hui, dans le monde de la liberté, la phrase la plus glorieuse est : ich bin ein Berliner ». Ce discours restera l’un des plus célèbres du 20ème siècle.
Le Mur, édifié deux ans auparavant dans la nuit du 12 au 13 août 1961, long de155 km dont 43 km intra-muros, était le symbole de cette ligne de démarcation qui sépara l’Occident du monde communiste durant plus de quarante ans. Il appartenait autant à Berlin Est qu’à Berlin Ouest. Il paraît aujourd’hui absolument insensé que les autorités de la ville puissent décider de faire tomber les ultimes vestiges de ce passé, d’autant qu’il est inscrit au « patrimoine historique ». Pourquoi pas, au même titre, ne pas raser Auschwitz ou Dachau ?
Mais après tout, peut-être que désormais dans « le monde de la liberté, la phrase la plus glorieuse est : bâtissons des immeubles et des hôtels de luxe » et ce, en lieu et place de notre histoire commune, celle par exemple du passage d’un Président américain dans une ville isolée au milieu de le RDA de l’époque ?...
Le Mur est tombé depuis un peu plus de vingt ans, avec lui l’ensemble des dictatures communistes de l’Europe de l’Est, n’est-il pas essentiel d’en conserver le souvenir, ne serait-ce que pour rappeler à ceux qui ont la mémoire éphémère, que des centaines de personnes ont été mitraillées pour avoir voulu aller vérifier si la vie n’était pas meilleure de l’autre côté.
Serions-nous en train de transformer ce « meilleur » par une course effrénée à toujours plus de rentabilité, souvent alimentée par des capitaux pas toujours propres sur eux. Aucun programme immobilier n’aura jamais la valeur que ce bout de Mur a acquise depuis un jour de novembre 1989…
Jean-Yves Curtaud
LE CHRONIQUEUR
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