La crise, c’est l’excès d’endettement
S’il n’y avait qu’une seule donnée à retenir pour illustrer l’état de nos difficultés économiques actuelles, elle se résumerait à ce constat : la population active insérée dans les échanges mondiaux a doublé ces vingt dernières années. Ce sont donc nos emplois qui se retrouvent en première ligne, nos emplois de « riches » concurrencés par des emplois de « pauvres ». Et apparemment nous ne pourrions pas lutter, il s’agit quasiment de dumping sur la masse salariale. Certes, il y a deux fois plus de travailleurs sur le marché de la mondialisation, mais dans le même temps, il y a peut-être deux fois plus de consommateurs à fournir. L’un va forcément avec l’autre, encore faut-il être en mesure de vendre les bons produits au bon moment.
Et c’est ici qu’intervient notre immobilisme chronique. Nous préférons accuser les autres de tuer nos emplois plutôt que de penser révolution industrielle, nous préférons casser nos usines plutôt que de décréter la mobilisation générale pour la défense de nos intérêts comme l’ont fait récemment les Allemands, les Canadiens, les Néerlandais ou encore les Suédois. Il faut dire que cela passe par une grande négociation entre tous les partenaires, et on voit bien qu’avec la loi sur la sécurisation de l’emploi rien n’est gagné, les syndicats ostensiblement à gauche refusant tout accord en ce sens, et ce au détriment de la pérennité de certains secteurs industriels. Peut-on passer outre ? Sûrement pas en l’état actuel. Jamais depuis le début de la 5ème République, un Président n’a été aussi bas dans les sondages, et ce moins d’un an après son installation. Difficile dans ces conditions d’imposer des sacrifices aux Français à coups de lois.
Pourtant, il faudra bien admettre que la crise que nous traversons est issue de nos excès d’endettement, donc de dépenses publiques. Si nous sommes les champions du monde en matière d’impôts c’est pour cela, si nous décourageons l’emploi par notre niveau très élevé de cotisations sociales (plus de 320 milliards par an), c’est à cause de cela. Arrêtons de tout mettre sur le dos de la mondialisation parce que nous refusons de lever notre derrière assis sur une montagne d’acquis. Rien ne changera sans une prise de conscience collective, en fait si, tout risque de changer en pire. Nous sommes dans le tour de chauffe d’une catastrophe économique qui pointe son malheur devant nous, certes politiquement elle coûtera cher à la majorité actuelle, mais on s’en fout, elle coûtera surtout énormément aux Français, et il est fort probable que nous aurons beaucoup de mal à nous en remettre. A partir de là ce n’est pas 5 ou 10% de nos acquis qu’il faudra abandonner, mais tous nos acquis, et peut-être davantage. Nous aurons alors une bonne occasion de pleurnicher pour quelque chose !
Quelles sont les alternatives ?
La plus pétocharde, la plus lâche, consisterait à se mettre la tête dans le sable pour ne pas voir. Fermer nos frontières, nous isoler du monde, sortir de l’Europe et de l’euro, c’est ce que j’appelle la tentation de l’Albanie. Certains le disent, nous pouvons très bien vivre en autarcie, cultiver ce dont nous avons besoin pour vivre, tricoter nos pulls, installer des éoliennes sur le toit des maisons pour se chauffer et s’éclairer… un jour sur trois, marcher pour se déplacer, donc aller nulle part, et faire du troc au lieu de travailler pour gagner de l’argent : « je te débouche ton évier et tu m’apprends à jouer « Jeux interdits » à la guitare ! » Guitare française faite en bois du Jura avec des cordes en plastique d’Oyonnax.
Après, il ne faudra pas tomber malade, ne pas avoir besoin de matières premières pour faire tourner l’essentiel, on pourrait, on devra aussi mourir très jeune pour faire de la place aux autres.
On le voit, tout cela n’est pas sérieux, pas réalisable. Pourquoi l’Allemagne rayonne aujourd’hui en Chine, en Amérique du Nord, en Europe Centrale, en Russie ? Parce qu’elle a décidé d’assumer la mondialisation en fournissant aux pays qui viennent d’émerger et qui ont les poches pleines, ce dont ils ont besoin ou envie. Ainsi, l’exemple le plus parlant est celui de l’industrie automobile. Croyez-vous que chez Audi, chez BMW, chez Mercedes, chez Porsche et même chez Volkswagen on a peur de ces nouvelles classes moyennes et nouveaux riches du bout du monde ?
Quand Renault va faire fabriquer ses autos à Pitesti en Roumanie pour gagner mille euros sur un véhicule qui se vendra huit à douze mille euros chez nous, le Groupe Volkswagen fait fabriquer sa Porsche Cayenne à Bratislava en Slovaquie par une main d’œuvre extrêmement qualifiée, et là on parle d’une auto qui coûtera plus de 60.000 euros et laissera des marges importantes au constructeur. Alors oui, dans les deux cas on peut parler de politique d’externalisation, mais quand le Français sauve les meubles en allant fabriquer en Roumanie, l’Allemand conforte sa performance industrielle en trouvant ailleurs les facteurs de production qui lui font défaut, et ce en abaissant par là même ses coûts de production.
A l’arrivée, Renault ne vendra pas son auto « low cost » en Chine, en Russie, ou en Amérique du Nord, alors que Porsche, Audi, BMW, Mercedes vendront leurs productions partout dans le monde où il y a des acheteurs riches à mettre en face de ces autos haut de gamme à forte plus-value.
Nœud gordien
Entre l’obligation de compétitivité et le constat d’une désindustrialisation nous ne savons plus comment défaire ce nœud gordien. Pensons produit. Ce sont eux qui feront la différence, on vient de le voir avec l’automobile, mais c’est plus vaste, c’est notre positionnement trop milieu de gamme qui nous expose aux soubresauts économiques, notamment lorsque l’euro s’apprécie fortement.
Il y a aussi ces fameux R&D ou budgets Recherche et Développement nettement inférieurs à ceux de nos concurrents directs. Revenons à l’automobile, ces budgets R&D sont trois fois inférieurs chez PSA et Renault par rapport à ceux de Volkswagen ou encore Toyota. C’est pourtant là que nous préparons nos futures exportations.
Enfin, depuis trente ans nous regardons l’industrie comme quelque chose du passé, synonyme de pollution, de travail à la chaîne inhumain, l’industrie pour nous c’est quasiment le 19ème siècle en 2013 !
Oui, cette tentation de l’Albanie me fait peur, elle est la preuve d’un manque de courage et de lucidité, elle se traduirait dans la réalité par une immense pauvreté collective et par une fuite colossale de l’intelligence. L’Albanie ne fut jamais une sorte de suisse des Balkans, elle n’était que le pays le plus pauvre de l’Europe. Elle est encore le pays le plus pauvre de l’Europe.
Aujourd’hui, la majorité de nos concurrents européens regardent la mondialisation avec sérénité, avec calme, avec gourmandise pour certains, allons-nous devenir l’exception française, celle du refus, celle du recul, celle de la stupidité de croire que l’on peut encore faire comme si de rien n’était, c’est-à-dire continuer à appauvrir le pays en réclamant toujours plus de services publics, toujours plus d’allocations, toujours plus de loisirs et de RTT sous le fallacieux prétexte que nous serions « cassés » dès l’âge de cinquante ans ?
Réveillons-nous. Nous n’avons plus de croissance, nous perdons chaque mois des dizaines de milliers d’emplois, nous accumulons les déficits à notre balance commerciale, nous sommes dans le rouge dans les comptes de la sécurité Sociale et de nos caisses de retraite, mais nous continuons à embaucher des fonctionnaires, nous refusons de travailler plus longtemps, nous accueillons chaque année plusieurs centaines de milliers d’étrangers auxquels nous distribuons des CMU et des allocations, ce que bien sûr les âmes bien pensantes démentent. Combien de temps encore allons-nous tenir ? Jamais le monde n’a bougé aussi vite, jamais les échanges commerciaux n’ont été aussi intenses mais aussi autant impitoyables. Le savons-nous au moins ? Pas sûr.
J. Nimaud
LE CHRONIQUEUR
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