Bien peu aujourd'hui connaissent Kurt Gerron, et pourtant, acteur, réalisateur, il fut une star du cinéma allemand d'entre les deux guerres. Né en 1897 dans une famille juive allemande, Kurt Gerson, son vrai nom, voit son premier film en 1904, mais c'est à la médecine qu'il se destine. Après son baccalauréat, obtenu en express comme ses camarades, il est envoyé à la guerre, la patrie a besoin de chair à canons. Il n'a que dix-sept ans. Un éclat d'obus, une blessure aux testicules fera de lui un eunuque et lui qui était grand et maigre verra bientôt sa silhouette se transformer. Il reprend son cursus universitaire, après seulement quatre semaines d'études de médecine, on le renvoie sur le front, cette fois en tant que médecin !
C'est parce qu'il abandonnera la médecine qu'il deviendra comédien. On le voit au cabaret, au théâtre. Il joue dans « L'Opéra de quat'sous » de Brecht, le « pseudo prolétaire », celui qui se voulait « la terreur du bourgeois ». Il est à l'affiche auprès de Marlène Dietrich dans « L'Ange bleu ». Il est une star de l'UFA. Il lui suffit d'apparaître dans un spectacle pour que ce soit un succès. Il est également un réalisateur reconnu. Il aurait pu partir pour Hollywood qui lui faisait les yeux doux, comme Peter Lorre, comme Marlène. Mais il préférera rester en Allemagne ou répondra trop tard aux propositions. C'est aux Pays-Bas, où il s'était réfugié avec sa femme Olga, qu'il sera arrêté et envoyé au camp de Westenbork, où il animera un cabaret, puis à celui de Theresienstadt. Theresienstadt n'était pas un camp de concentration comme les autres. Terezin était une ville forteresse qui fut transformé en ghetto pour les Juifs de toute l'Europe, en transit souvent pour les camps d'extermination comme Auschwitz. Les Allemands y déportèrent des artistes, des écrivains, des intellectuels, des savants. Les enfants pouvaient même y suivre leur scolarité. Les nazis voulaient en faire une vitrine, une façade. Mais on y mourait de faim, de maladie.
Et c'est là que l'Obersturmführer SS Rahm va lui passer une commande : faire un film de propagande sur Theresienstadt, « un film gai, image d'une ville heureuse », une ville dont les rues ne sont pas sillonnées chaque jour de charrettes emportant des cadavres de vieillards morts de faim. Et la réalité est là, Gerron le sait, tant qu'il travaillera il sera en sécurité. Mais quel genre d'homme sera-t-il s'il fait ce film ? Un homme qui ne sera pas expédié à Auschwitz, mais une ordure parce qu'il l'aura fait pour rester en vie. S'il le tourne, il n'aura plus aucun respect pour lui-même, s'il ne le tourne pas, son nom et celui de sa femme seront sur une liste de convois, avec le tampon R.U., Rückkehr Unerwünscht, retour indésirable. Gerron fera le film, mais il n'en fera pas le montage. Le 30 octobre 1944, lui et Olga furent gazés à Auschwitz, trois jours avant que les chambres à gaz soient détruites.
Une histoire réelle et un très grand roman captivant, émouvant, à lire absolument.
LE CHRONIQUEUR
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