Décembre 1923, un homme dans un fauteuil roulant contemple la Moskova près de Gorki. Janvier 1924, Lénine est mort, il avait quitté Gorki, une dernière fois avait visité le Kremlin. Fin novembre 1968, dans une aile isolée du Kremlin, gisant sur un lit d'hôpital, un homme sous perfusion émerge du coma.
Le narrateur, « un écrivain atypique et inclassable qui possède l'audace des grands rêveurs éveillés » apprend que les jours de son ami Ch., « Charly Boy pour les tribus » sont comptés. Un an plus tôt, il lui avait promis d'écrire une fiction sur Vladimir Ilitch Oulianov, plus connu sous le nom de Lénine, dit le Chauve, le Vieux. Et le voici donc, coincé dans une chambre d'hôpital, rivé à une chaise, obligé de raconter à « un militant, une vieux de la vieille, qui n'ignorait rien, l'endroit comme l'envers, de la vie, des pensées et des actes du président du Conseil des commissaires du peuple », à échafauder une histoire à dormir debout pour le plaisir d'un mourant. Alors qu'il ignore tout de lui, il entreprend de « narrer la résurrection du Vieux », quarante quatre ans après sa mort officielle. Lénine a survécu au moustachu tsar du Kremlin mort quinze ans plus tôt. Il a dormi pendant presque un demi siècle, on l'a maintenu dans un état d'hibernation à l'insu de tous, pour les besoins d'une cause qui le dépasse. Dans cette chambre isolée du Kremlin, « lustre éteint, tentures trouées, miroirs ternis, lambris vermoulus », Lénine va peu à peu apprendre grâce à son infirmière la faillite généralisée de l'idéologie qu'il a soutenue, à laquelle il s'était dévoué, même s'il n'ignorait pas la part d'illusion, d'utopie qu'elle recelait.
LE CHRONIQUEUR
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