Après les missionnaires
Ils furent sûrement les premiers « colons » portant la parole de Dieu et faisant figure de pionniers genre ONG. Ainsi, les missionnaires protestants Britanniques, Américains et Norvégiens jouèrent un rôle important à Madagascar, les Scandinaves ayant même élaboré les bases de la future langue malgache. Mais la colonisation, et ce depuis le 14e siècle, fut avant tout un prétexte à l’expansion économique, puis politique et parfois culturelle, en opposition au colonialisme qui répond davantage à une exigence idéologique.
Ainsi, la France connut une première aventure coloniale en Amérique du Nord, aux Antilles, en Afrique (notamment au Sénégal) et en Inde (avec les premiers comptoirs) qui se termina avec la Révolution et Napoléon. En 1811, la France n’a quasiment plus de colonies. Fin du premier acte.
Durant ces siècles passés, la connaissance des spécificités géographiques, économiques et démographiques de ces territoires conquis restait rudimentaire, les déplacements étant toujours très compliqués et les communications quasi inexistantes.
De 1830 à 1960
Sous Louis-Philippe, une deuxième aventure débute avec la création de comptoirs sur la côte du Bénin, on va commercer l’ivoire, la poudre d’or, l’huile de palme, les bois de teinture. Cette nouvelle phase coloniale durera environ 130 ans puisque débutant aux alentours des années 30 du 19e siècle. C’est encore sous Louis-Philippe que l’on encouragera les colons à s’installer en Algérie afin de structurer le pays, puis dans la foulée la France colonise le Gabon en 1839 et Nossi-Bé en 1841, abolissant par là même l’esclavage dans les domaines de la couronne. Son successeur, Napoléon III, marquera son passage aux affaires avec un protectorat sur le Cambodge, la colonisation de la Nouvelle Calédonie, il tentera également d’instaurer un royaume arabe en Algérie en 1865.
Au sortir de l’humiliation de 1870, une farouche volonté de revenir au plus haut niveau s’empare des responsables politiques nationaux : bâtir un empire sur tous les continents et servir les hommes (on notera que Jules Ferry fut à la fois un grand conquérant colonial et l’inventeur de l’école laïque et gratuite !). Alors la République perpétue cette politique africaine, notamment sous la présidence de Jules Grévy avec la colonisation du Congo (1879) et un protectorat sur la Tunisie (1881), juste avant qu’on ne se fasse évincer d’Egypte par l’Anglais ! Sadi-Carnot ajoutera dans l’escarcelle nationale le Dahomey, le Niger, le Mali et la Guinée entre 1891 et 1894, alors que Casimir-Perier prendra Madagascar en 1895.
Sur le livre de comptes
L’Afrique Occidentale et l’Afrique Equatoriale, c'est-à-dire toute la moitié Nord du continent, s’apprêtent à virer vers le 20e siècle sous domination française pour le pire et le meilleur… car il y eut un pire, avec beaucoup d’erreurs et de maladresses, notamment en définissant les frontières des Etats sans tenir compte des découpages ethniques et en imposant une administration trop lourde et rigoureuse, mais il y eut également le meilleur (n’en déplaise aux farouches accusateurs de la France colonialiste) avec, entre autres, toutes les infrastructures sanitaires, éducatives et de communication (routes, ponts et chemin de fer). Pêle-mêle, on peut rappeler que nombre de maladies furent éradiquées, que la baisse de la mortalité infantile fut plus que significative, et qu’en 1960, date des « indépendances », la France laissait en Afrique (et à Madagascar) 2.000 dispensaires, 600 maternités, 40 hôpitaux, 16.000 écoles primaires, 350 collèges et lycées, 18.000 km de voies ferrées, 215.000 km de pistes, 50.000 km de routes, 63 ports et 196 aérodromes. On peut imaginer le bilan avec un départ en 1980 ou en 2.000…
Mais n’allons pas plus loin, nous risquons de voir tomber sur nous les foudres des censeurs. Et pour leur donner raison, nous rappellerons que la République s’est aussi bien servie sur place, particulièrement en hommes qu’elle n’oublia pas de mobiliser et d’acheminer sur l’autre continent pour y faire la guerre à l’Allemand.
Quant au bilan économique, il reste mitigé et lui aussi, source de conflits. Globalement, on dit que les colonies auraient plus coûté à l’Etat qu’elles n’auraient rapporté. L’économiste Jacques Marseille évoque la bagatelle de 70 milliards de francs or comme déficit global de la colonisation en Afrique, soit, à titre indicatif, trois fois le montant du Plan Marshall pour la France (de 1948 à 1952). Mais on dit aussi que les colonies étaient essentielles à la bonne marche de l’économie nationale…
Il faut dire qu’au firmament de la colonisation, l’Empire français en Afrique représentait plus de 12 millions de km², on peut aisément imaginer le potentiel économique d’un tel territoire par rapport à nos « modestes » 550.000 km² de notre Hexagone. Et on peut également imaginer (ou extrapoler ?) ce même potentiel économique en 2000 si rien n’avait changé. Gagnant-gagnant, la France serait peut-être aujourd’hui la première puissance mondiale, gagnant-gagnant l’Afrique serait très riche, donc sans guerres tribales, sans famines et aurait éradiqué l’essentiel des maladies dévastatrices. Qu’on se comprenne bien, nous ne sommes pas en train de faire l’apologie du colonialisme, mais ce « gagnant-gagnant » aurait pu être une idée nouvelle et moderne d’échange et de collaboration politique, économique et sociale, chacun préservant son identité culturelle ou historique. Mais passons… Pour certains cela ne se peut, il est sans doute préférable de voir le continent s’enfoncer chaque jour davantage sous le joug de dictatures.
Le tour de l’Empire français en Afrique
D’abord, parlons-nous d’Empire ou de domaine colonial ? La nuance évoluera pas mal au cours des décennies. Cette présence s’articulait autour de trois pôles : l’Afrique du Nord avec l’Algérie, la Tunisie et le Maroc, l’Afrique Occidentale Française ou AOF, fédération qui regroupa jusqu’en 1958, le Sénégal, la Mauritanie, le Soudan, la Haute-Volta, le Dahomey, la Guinée, le Niger et la Côte d’Ivoire, et l’Afrique Equatoriale Française ou AEF, forte du Gabon, du Moyen Congo, du Tchad et de l’Oubangui-Chari (future République Centrafricaine). Ajoutons à cette liste le Togo qui était alors sous mandat français (depuis le départ de l’Allemagne après la première Guerre Mondiale). Enfin, pour être exhaustif, rappelons qu’après cette guerre de 14-18, la Société des Nations avait donné mandat à la France sur la Syrie et le Liban.
Des accords de Genève aux accords d’Evian
Le château de cartes s’écroulera très vite entre 1954, date des accords de Genève sur le cessez-le-feu au Viêt-Nam, au Cambodge et au Laos, et ceux d’Evian en 1962 qui aboutirent à l’indépendance de l’Algérie, ultime présence française sur le continent africain.
Au sortir de la guerre, la France est exsangue. Sans le Plan Marshall elle n’aurait jamais recouvré si vite ses facultés à relever les défis qui s’annonçaient au rythme d’une reconstruction nécessaire dans tous les domaines. Disons-le : en échange elle allait devoir abandonner ce que les Américains et les Soviétiques appelaient un empire, empire qui n’avait bien évidemment plus sa place au sein d’un face à face que les deux géants envisageaient de se livrer. L’événement de Suez fut comme un tour de chauffe à cet « abandon » programmé à Washington et à Moscou. Ensuite, il aura suffi d’envoyer de l’argent et des conseillers pour faire le ménage : 1954 début de la guerre d’Algérie, 1956 indépendance du Maroc et de la Tunisie, nationalisation du canal de Suez par Nasser, bombardements franco-britanniques en représailles, puis occupation de la zone par les forces de l’ONU. L’Histoire est en route et de Gaulle revient aux affaires chez nous…
La Communauté proposée par de Gaulle
« Nous allons établir une Communauté entre les uns et les autres, étant entendu que chaque territoire se gouvernera et s’administrera lui-même. Mais nous mettrons en commun certains domaines, tels que la diplomatie, la défense et la monnaie. Voilà en quoi consiste la grande réforme que nous voulons faire… » « Si un territoire veut suivre son propre chemin en dehors de la Communauté, qu’il le suive à ses risques et périls. » C’est le discours que le Général de Gaulle prononça à Brazzaville lors de sa tournée africaine d’août 1958 qui le conduisit à Tananarive, Abidjan, Conakry, Dakar et Brazzaville… là même où en 1944 avaient été jetées les bases de l’Union Africaine.
Ainsi, l’Empire était transformé en douze républiques africaines au sein d’une Communauté, et ce après un référendum qui proposait aux dits pays, soit une coopération avec la France, soit l’indépendance. Seule la Guinée votera non et deviendra immédiatement indépendante, le leader d’alors Sékou Touré ayant habilement manœuvré. Se retrouvaient alors au sein de la Communauté le Sénégal, le Soudan, la Mauritanie, la Côte d’Ivoire, la Haute-Volta, le Dahomey, le Niger, le Tchad, la Centre Afrique, le Gabon, Madagascar et le Congo qui, sous l’impulsion du mouvement nationaliste de Patrice Lumumba, filera très vite vers l’indépendance.
Un monde sous tension
La Guerre Froide a ses effets collatéraux sur le continent africain, les guerres d’influence Est-Ouest s’invitent aux débats locaux. Déjà, durant cette même année 1958 naît la République Arabe Unie (RAU) regroupant l’Egypte, la Syrie, l’Irak, la Jordanie et le Yémen. En avril, cette RAU, enrichie d’Etats africains indépendants comme le Libéria, l’Ethiopie, le Ghana et la Libye, demandent le retrait des forces françaises en Algérie. La situation sera vite intenable, les pressions considérables, notamment sur les pays membres de la Communauté, et au changement de décennie, la France se retrouve seule.
La Fédération avait cessé d’exister avec la Communauté, la Communauté vole en éclats avec l’année 1960. Entre avril et novembre, treize pays déclarent leur indépendance : en avril, le Sénégal, le Togo (l’un des plus petits Etats africains), en juin, Madagascar et le Soudan Français (qui deviendra république du Mali en septembre 1960), en août, la Haute-Volta (Burkina Faso en 1984), le Niger, le Dahomey (qui sera le Bénin en 1975), la Côte d’Ivoire, le Gabon, la République Centrafricaine et le Tchad, en octobre, la Guinée, et en novembre la Mauritanie.
En cette année 60, le Congo Belge accède également à l’indépendance, mais le leader charismatique Lumumba ne fera pas long feu face au violent colonel Mobutu. Peu de temps avant, Moïse Tshombé avait de son côté déclaré l’indépendance du Katanga afin de soustraire les richesses minières au pouvoir central. Lumumba avait alors appelé Moscou à l’aide… L’Afrique était prête à basculer, et nombre de pays fraîchement indépendants iront se jeter dans les bras de Moscou pour y trouver réconfort et conseillers militaires, à l’instar de Madagascar sous le règne de Ratsiraka.
Un demi-siècle d’indépendance
Entre l’éternelle repentance et la réalité historique, la France va-t-elle s’arrêter sur ce 50e anniversaire ? 1960 : au moment où le pays entamait sa fulgurante mutation (voir notre page consacrée à cette année 1960) socio-économique qui allait faire de nous l’un des pays les plus riches de la planète et les mieux protégés socialement, nous « lâchions » nos amis les plus fidèles et les plus désintéressés, nous abandonnions cette Afrique que la Croisière Noire d’André Citroën avait fait connaître aux Français durant les années 20, une Afrique qui faisait rêver et qui aurait pu être le symbole d’une expansion en devenir. Il ne suffisait pas de se servir, encore fallait-il partager, échanger, apprendre les uns des autres. Malheureusement le sentiment colonial l’a emporté jusqu’à la rupture brutale. Brutale, car beaucoup ont très vite basculé côté anarchie et dictature, entraînant pénuries, souffrances et morts du Nord au Sud du continent. Le Soudan est en guerre depuis son indépendance, l’Angola a connu 25 ans de guerres civiles, pourtant le pays est riche (agriculture, pétrole, diamants) et tout est à reconstruire, les guerres tribales ont laminé la Somalie qui n’existe quasiment plus en tant qu’Etat, la Côte d’Ivoire est coupée en deux, les populations du Sud redoutent l’expansion musulmane et la Charia imposée comme loi nationale, tout comme au Nigeria avec des réminiscences de la guerre du Biafra d’il y a trente ans, sans oublier le Tchad avec ses nombreux conflits intérieurs entre Musulmans et Chrétiens, et la Centrafrique, et la République Démocratique du Congo (ex-Zaïre) ruinée par Mobutu et convoitée par ses voisins. Si le Gabon est apparemment calme, n’oublions pas que la Guinée Equatoriale regarde avec obstination vers ses champs pétrolifères, et si Madagascar n’a pas d’ennemis proches car pas de frontières, l’île est confrontée aujourd’hui à une misère monumentale due au pillage de ses ressources par son propre pouvoir (voir notre article dans cette édition).
Et on pourrait ajouter à la liste d’autres nations (qui ne faisaient pas partie de l’Empire français) comme le Kenya où l’épuration ethnique prend de l’ampleur, le Zimbabwe, exsangue depuis que le Président Mugabe a lancé sa réforme agraire basée sur l’expulsion des fermiers blancs, et globalement toute la côte africaine de l’Océan Indien sous influence islamique…
En fait, entre les guerres tribales et les conflits religieux, l’Afrique n’en finit plus de se déchirer et de se détruire : la Bible, le Coran et la Kalachnikov forment le triptyque des affrontements actuels. Des affrontements issus de ces fameuses guerres tribales que les occupations françaises et britanniques avaient mises entre parenthèses.
Dans la revue « Ethiopiques » (N°75), El Hadji Ibrahimadiop n’hésite pas à tirer une passerelle entre tribalisme et fascisme : « Le fascisme et le tribalisme ne sont-ils pas tous tributaires de l’apologie de l’appartenance au même « sang » et de l’érection de ce principe comme critère d’exclusion et d’élimination d’autres groupes accusés, maintes fois à tort, d’allochtones ? »
Le bilan en vies est considérable, tant au niveau des morts que des souffrances dues à ces affrontements ethniques et autres régimes dictatoriaux. 800.000 Tutsis massacrés au Rwanda, 200.000 Hutus tués en fuyant à travers l’ex-Zaïre, plus de trois millions de morts durant la guerre au Congo Kinshasa, 300.000 morts au Burundi, en Somalie, en Côte d’Ivoire, au Soudan… 50 ans de conflits intérieurs, mais aussi 50 ans que certains grands groupes industriels ont passé à piller sans états d’âme les richesses naturelles en arrosant des chefs d’Etats locaux dont les comptes bancaires suisses sont confortables, et les hôtels particuliers parisiens luxueux et spacieux. C’est aussi ce qu’on appelle « France-Afrique ». Cinquante années qui n’ont pas enrichi la France, ni l’Afrique, mais des sociétés qui ont agi à leur bon gré avec la complicité d’autorités publiques corrompues, souvent grâce à ce fameux Franc CFA qui favorisait cette même corruption.
Quid des cinquante prochaines années ?
Colomb Bechar, Tombouctou, Bamako, Lomé, Libreville, Brazzaville, Douala, d’Afrique Occidentale en Afrique Equatoriale, des territoires Touareg au Golfe de Guinée, le destin de l’ex-empire colonial français reste incertain. Si l’affrontement Est-Ouest est terminé, d’autres enjeux ont surgi depuis, religieux avec l’expansion de l’Islam, mafieux avec des régimes de plus en plus corrompus, et économiques avec l’arrivée de nouveaux acteurs (Chine et Inde) dont le seul « humanisme » est le business. Ces nouveaux « colons » ne s’embarrasseront pas outre mesure pour arriver à leurs fins. Ils viennent pour gagner de l’argent, qu’importe le régime en place, qu’importe l’histoire ou la culture. Et nous aurons alors tout perdu, y compris notre honneur, en abandonnant cette partie du continent africain où la France était l’excellence, où la langue française était officielle, où les Français étaient un peu des frères. Mais voilà, sous prétexte de néo-colonialisme il ne faut plus rien faire là-bas, hormis bien sûr aller au bord d’une plage dans un hôtel tout confort bon marché pour nous, et ramener des photos numériques qu’on montrera aux collègues de bureau. Un peu comme si on allait visiter une réserve.
Si on veut concurrencer la Chine en Afrique, c’est maintenant qu’il faut se bouger, et ce, avant que les prochaines générations ne se souviennent même plus d’un seul mot de la langue de Molière. Mais là encore, nos politiques sont tellement lâches vis-à-vis de la bonne conscience humaniste et de la bonne conduite dictée par les associations et collectifs moralisateurs, que pas un n’osera proposer une idée qui pourrait être intelligente, comme par exemple un partenariat qui viendrait prendre place entre le protectorat… et rien, ou juste faire semblant de compatir à la misère des autres.
L’Afrique a besoin de la France, l’année de ce 50e anniversaire est l’occasion de se remuer avant que l’Afrique ne débarque chez nous parce qu’elle n’aura pas d’autre choix, et que c’est encore en France que les Africains voient un soupçon d’avenir.
En conclusion, je rappellerai l’avant-propos d’Arthur Conte dans son ouvrage « L’épopée coloniale de la France » paru en 1992 (chez Plon) : « Il n’en reste pas moins que la décolonisation aura été trop rapide, abrupte, sans que soient arrêtées les mesures susceptibles d’empêcher les peuples « libérés » de basculer à nouveau dans les affres du passé précolonial. A tel point qu’autour de 1960, on avait l’impression que les puissances coloniales larguaient certaines colonies comme autant d’insupportables fardeaux. »
En janvier, le Président de la République est allé rendre visite à Mayotte et à La Réunion, il était à deux brasses de Madagascar, pays actuellement à la dérive, n’était-ce pas le moment d’aller faire un brin de causette ?...
Jean-Yves Curtaud
LE CHRONIQUEUR
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