Manuel arrive en barque dans ce coin de Beauce. C’est un grand épouvantail, au feutre bosselé à larges bords décoloré par le soleil et la pluie, aux godillots trop grands. Il a des lettres de recommandation, il cherche un emploi d’ouvrier agricole. Il voudrait s’installer à Jeufosse où il se sentirait mieux qu’à Chateaulune car bien que vingt trois années se soient écoulées, des villageois pourraient le reconnaître. Il traîne avec lui une grande valise. Elle contient un gramophone trouvé dans une décharge. Blessé dans une chute, il est recueilli par un couple de fermiers, Paule et Roland Dotelar, qui lui offrent un emploi de journalier. Des lieux comme ça il en avait connu des dizaines toutes ces années. « Mais ce serait bientôt fini. Pour la première fois sa vie était tracée. Il travaillerait à Jeufosse, boirait des cafés au bar des Sports où allaient les employés de la prison, patienterait le temps qu’il faudrait, puis il posterait une lettre à sa mère et plus personne à la ronde n’entendrait parler de lui ». Vingt trois ans plus tôt, une dispute avait mal tourné entre deux hommes, Flavien Rocca dit « Petit Père » avait rejoint son voisin Denis Bernardin chez Legris pour jouer aux cartes et discuter d’une machine que l’un désirait céder à l’autre. Ils s’étaient emportés, Bernardin était mort et Petit Père accusé de l’avoir tué et condamné à trente ans de prison. Manuel est présent à sa libération, il veut comprendre ce qu’il s’est réellement passé ce jour-là. Petit Père ne désire qu’une chose, travailler et oublier.
Nous sommes en 1960, dans la France rurale, celle des non-dits, des préjugés. Il ne faut pas grand-chose pour que tout tourne à la folie, Manuel va l’apprendre une nuit d’orage.
LE CHRONIQUEUR
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