Un Centre à la Kennedy ?
Et c’est bien sur ce terrain-là que le Centre trouve difficilement sa place désormais. Quand l’environnement est brutal, quand il met face à face des intransigeances radicales (pléonasme ?), la voie médiane, celle qui devrait incarner la sagesse, le débat, l’apaisement, et pourquoi pas l’intelligence de la réflexion, cette voie-là fait défaut. En 1938 et 1939, il n’y eut pas de place pour un centre efficace, pas plus lors du conflit algérien, pas même en 1968, il fallait alors qu’un vainqueur se trouvât dans l’un ou l’autre camp, pas au milieu. Ce n’est que la prospérité ou la mer d’huile qui ramena un Centre au centre du débat. En 1974, Valéry Giscard D’Estaing, l’héritier des anciens MRP, parti radical et Centre démocrate de Jean Lecanuet, raflait la mise après que de Gaulle et Pompidou eurent fait le « sale boulot » de la reconstruction économique et de la modernisation industrielle. A lui les réformes homéopathiques, à lui les intérêts des placements précédents. Ce Centre sentait bon, vu d’ici, le « Kennedysme ».
Sous surveillance
Mais voilà, la vie politique n’est
jamais un long fleuve tranquille. Cette victoire n’était pas celle du centre au sens originel, mais d’un centre droit coopté par une droite en attente d’un nouveau chef après la disparition brutale de Georges Pompidou. Et Giscard l’avait bien compris. Ses Républicains Indépendants deviendront aux législatives de 1978 l’Union pour la Démocratie Française, l’UDF était née. Du coup, une partie du centre intégra la gauche, les dividendes seront versés dix ans plus tard par le gouvernement Rocard qui ouvrira avec Durafour, Soisson, Stoléru, Raush, Durieux… des Giscardiens historiques iront goûter à la cohabitation mitterrandienne. Cette ouverture n’aura pas de lendemains, l’UDF, le centre officiel, cohabitera de son mieux avec l’hégémonique RPR, et fera gagner Jacques Chirac en 1995 après avoir flirté avec Balladur au premier tour. Pour la première fois depuis 1965, les centristes étaient absents de la présidentielle sous la 5e République, c’est de ce vide que naîtra François Bayrou…
Lecanuet bis ?
Candidat du Centre Démocrate (et du MRP) et maire de Rouen, Jean Lecanuet créait la surprise au premier tour de la présidentielle de 1965 avec 15,5%, score que Raymond Barre améliora en 1988 (16,5%), mais dans un autre contexte, il s’agissait plutôt de régler avec Chirac une note qui traînait depuis 1981…
Pour François Bayrou qui perdait son ministère en 1997 avec la cohabitation Jospin et venait juste de créer Force Démocrate, il y avait urgence à retrouver un créneau disponible avant la présidentielle de 2002. Cette candidature, qui se soldera par un médiocre 6,8% au premier tour (plus mauvais score du centre), aurait pu être fatale au Président sortant, sachant que Jacques Chirac n’avait obtenu que 3 points de plus que les 2e et 3e Le Pen et Jospin. On imagine le coup de tonnerre si les centristes avaient alors réalisé le score de l’édition suivante, celle de 2007 qui ouvrait les portes du paradis au candidat du MoDem (nouveau nom de Force Démocrate), dépassant même les 18% !
Et tout le monde a cru à l’émergence d’une force centriste qui allait ratisser tant à droite qu’à gauche, renvoyant dos à dos les ténors de l’UMP et du PS. Mais c’était bien mettre la charrue avant les bœufs. Ces 18% il fallait les mériter, les placer sagement pour les faire fructifier. L’espace centriste est fragile, complexe, il se nourrit d’un vide momentané, puis peut être appelé à se morfondre au plus profond de la dégringolade à la moindre faute, au moindre sursaut environnemental. Et il y eut les deux : la faute, c’est François Bayrou qui l’a faite en focalisant ses critiques les plus acerbes en direction du pouvoir en place, donc contre le Président de la République et l’UMP (Madame de Sarnez a beaucoup donné à ce sujet !), et le sursaut environnemental (ou la faille) fut la crise.
Retour à la case départ, quand ça va mal on ne regarde plus au centre, on revient vers l’une des « grandes familles ». Depuis quelques mois, le débat passe par l’affrontement traditionnel gauche-droite, les artilleurs font feu de tous bords et Bayrou au milieu n’a pas échappé aux dégâts collatéraux : chute aux européennes, naufrage aux régionales.
Et maintenant ?
C’est la fin du centre tel que Bayrou l’a rêvé, le voici quasi condamné à se fondre dans la gauche ou à mourir, il va devenir l’appoint, « la petite monnaie » parfois nécessaire pour faire un compte rond, un peu comme Robert Fabre le pharmacien de Villefranche-de-Rouergue avec ses Radicaux de Gauche en son temps. Après tout, Bayrou pourrait représenter pour la gauche ce que Villiers est pour la droite, un appoint. D’aucuns verront là un énorme gâchis, ils auront raison. Autant les UDF Millon, Madelin, Léotard, Longuet représentaient à part entière une famille centriste associée à la droite républicaine (ils en faisaient partie), avec force et fidélité, autant François Bayrou aurait pu, avec finesse et sagesse, incarner cette troisième force pouvait s’affirmer comme une véritable alternative. Mais l’homme n’était peut-être pas à la hauteur de la tâche…
« De nouveau, il convient d’inventer des institutions, un langage, une flamme » écrivait-il en conclusion de son livre « Le Droit au Sens » en 1996. De ce bel engagement, on retiendra la « drague » de son adjointe Mme de Sarnez auprès de Messieurs Peillon et Hue à Marseille un jour d’été 2009. Etait-ce cela le langage et la flamme à inventer ?
LE CHRONIQUEUR
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