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Katyn ou le mensonge officiel

05/07/2010
On aurait pu imaginer qu’au bout de vingt ans, hormis en Corée du Nord et à Cuba, l’idéal communiste disparaisse avec ses derniers militants, des hommes et des femmes qui ont partagé cet élan pour une idée née au 19e siècle et que l’Union Soviétique commercialisa tout au long du siècle suivant, soit par le feu et la terreur, soit par la propagande. On aurait pu croire que François Mitterrand avait définitivement enfoncé les ultimes lignes de défense du parti ici en France et que le coup de grâce fût donné par la chute du Mur en 1989. On a eu tort, le dernier carré résiste et n’a pas bougé d’un iota (d’un rouble !) sur ses positions idéologiques, le rappel du massacre de Katyn ayant montré la ténacité du fait établi indiscutable, devenu historique, donc avec sa vérité officielle.

Silence on meurt
Trois jours après la rencontre entre les premiers ministres russe et polonais, messieurs Poutine et Tusk, à l’occasion du 70e anniversaire du massacre de Katyn et à propos duquel Vladimir Poutine évoquait le « côté inhumain du totalitarisme soviétique », l’avion du Président polonais Lech Kaczynski, qui transportait également les plus hautes autorités du pays, s’écrasait pas très loin de cette forêt où périrent des milliers d’officiers de l’armée polonaise au printemps 1940. Certains ne manqueront pas de voir dans cette coïncidence un signe étrange, un symbole, voire une répétition d’un drame qui avait eu pour instigateur Staline, désireux alors de venger les soldats soviétiques tombés en 1920 lors du conflit soviéto-polonais. Il faut dire aussi que le bon Joseph avait une aversion envers les Polonais, « tous des ennemis jurés du pouvoir soviétique, plein de haine envers le système soviétique. »
Si la vérité dérange parfois, elle demeure néanmoins la vérité : ce sont bien les hommes du NKVD, sur ordre de Staline, qui ont exécuté dans la forêt de Katyn près de Smolensk, 4404 officiers polonais qui avaient été faits prisonniers lors de l’invasion d’une partie de la Pologne par les troupes soviétiques, l’autre partie, on le sait, ayant dans le même temps été annexée par l’armée allemande. Au total, on parle de 22.000 officiers (dont beaucoup de réservistes qui représentaient ce qu’on appelle aujourd’hui « les décideurs » d’une nation) tués, d’autres charniers ayant été découverts par la suite à Kharkiv et à Miednoïe en Ukraine et en Russie.
Bien sûr, la version officielle pour l’Histoire qui arrangeait tout le monde, y compris en Occident, attribua aux nazis le massacre de Katyn, on oubliait même au passage qu’en octobre et novembre 1939, soit quelques semaines après le début de la seconde Guerre Mondiale, l’URSS avait livré 43.000 soldats polonais aux Allemands (dont de nombreux Juifs), alors que l’Allemagne livrait de son côté 14.000 soldats à l’Union Soviétique. Il faut dire qu’il y avait un « pacte » entre ces deux pays, pacte qui en faisait des alliés.

Après Gorbatchev
Et même si depuis longtemps de nombreux témoignages infirmaient cette thèse officielle, il n’était pas question de changer de vérité, les gardiens du dogme veillaient. Il faudra attendre avril 1990 pour que Gorbatchev reconnaisse la responsabilité de l’Armée Rouge dans ce massacre, et en 1992, Boris Eltsine remettra au Président polonais Lech Walesa le document contenant l’ordre que Staline avait donné au NKVD d’exterminer 25.700 combattants polonais.
La vérité changeait de camp, y compris chez les instigateurs du massacre. Enfin, pas partout, ici en France il n’était pas question qu’on laissât un successeur de Staline détourner le cours de l’Histoire. Toujours fidèle à ses convictions totalitaires, le Parti Communiste Français vint au secours de celui qui avait finalement fait tuer autant d’hommes et de femmes qu’Hitler, et ce jusqu’au début des années 50.
En avril 2009, à l’occasion de la sortie du film « Katyn » du cinéaste polonais Andrzej Wajda, dénonçant l’extermination des Polonais par les sbires de Staline, et que le PCF tenta même de faire interdire, L’Humanité, le quotidien du Parti, y allait de sa critique digne d’un procès de Moscou sous la plume de J.R. : « En 1940 à Katyn, probablement 15.000 officiers de l’armée polonaise sont purement et simplement liquidés et balancés dans des fosses. Les coupables désignés de cette extermination sont les Allemands. Moi-même, participant il y a quelque trente ans de cela à une délégation très officielle en Union Soviétique, ai été invité à me recueillir à Katyn sur ce symbole de la barbarie nazie. » Fermez le ban !
Dix-neuf ans après que Gorbatchev eut reconnu la responsabilité de l’Union Soviétique, L’Humanité continuait à entretenir un mensonge… d’Etat.

Le bouclier intellectuel
Mais ce ne fut pas le seul journal à dénigrer le film de Wajda, metteur en scène pourtant bien vu par la critique, d’habitude. Ainsi, le Monde reprochait au film de mettre dos à dos l’armée nazie et les Staliniens. En fait, le film sorti en 2009 dans seulement douze salles dans toute la France, a été mis à l’index par les milieux intellectuels français parce que « mal pensant ». Il faut dire qu’il s’agissait de la première fois que quelqu’un osait s’attaquer à l’Armée Rouge de la seconde Guerre Mondiale.
Grâce à ces intellectuels qui ont souvent réécrit l’Histoire à leur manière, on savait déjà que seul le Parti Communiste avait résisté en France, que le Goulag était une invention des impérialistes à la solde de la CIA, et que les bilans étaient, à l’Est, comme le rappelait chaque année Georges Marchais, « globalement positifs ».
On s’étonnera juste du silence des nations occidentales qui, après tout, avaient peut-être autre chose à faire, des nations qui n’avaient pourtant pas, à l’instar de la France, un parti communiste puissant (+ de 20% des électeurs) avec ses courroies de transmission syndicales capables de paralyser toute activité économique durant des décennies.
Quand Hitler chassait les Juifs dans toute l’Europe, Staline poursuivait ceux qu’il appelait « les ennemis jurés du système soviétique », chez lui et au-delà de ses frontières. A chacun ses coupables…
Enfin, lors de la disparition tragique du Président polonais, on a bien vu que ce « bouclier » avait encore de l’efficacité, très vite des voix ont rappelé que ce Président était nationaliste, intransigeant, quasiment fascisant, bref, l’occasion d’évacuer le sujet Katyn, une fois de plus. Je n’irai pas jusqu’à dire que le fameux nuage islandais qui a paralysé le trafic aérien arrangeait les chefs d’Etats occidentaux qui devaient se rendre aux obsèques du Président décédé, et qui par conséquent ont annulé leur déplacement… mais quand même.

J. Nimaud

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