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L’utopie négative issue du « meilleur des mondes »

14/02/2012
Mobilisation générale ! Voilà le mot d’ordre que l’on aimerait entendre sur les estrades et lire dans les programmes électoraux. Mobilisation générale des énergies, de l’intelligence, des savoir-faire, du courage, et bien sûr des moyens financiers, mobilisation générale des hommes et des femmes qui ont compris qu’il est désormais question de sauver l’essentiel de ce à quoi nous tenons, de ce qui fait de nous autres, Français, l’un des peuples les mieux protégés de la planète.
Ce qui se déroule en Grèce sous nos yeux devrait nous inciter à plus de mesure dans notre expression de frustration, de mécontentement, de révolte, d’envie de « tout faire péter » comme on peut parfois l’entendre, comme si tout s’était déglingué en quatre ou cinq ans – depuis 2007 nous le rappelle-t-on à l’envi -, comme si seulement quelques hommes étaient responsables de cette crise économique, mais aussi identitaire, qui touche aujourd’hui une grande partie de l’Europe, et principalement le sud de l’Europe.

 

 

Compétitivité en berne

Certes, les abus de la finance ont jeté l’opprobre sur le capitalisme, mais avant tout c’est la mondialisation « effective » qui nous est tombée dessus avec le 21ème siècle : avons-nous su réagir de manière appropriée à cette concurrence, déloyale vue d’ici, que nous ne pouvons ignorer, voire refuser, parce que nous ne savons plus comment l’endiguer, à moins comme le proposent certains de n’acheter que des produits made in France : adieu portables, écrans plats, ordinateurs, hifi, tablettes et même vêtements de marques.

Au classement mondial de la compétitivité (par le World Economic Forum), nous n’apparaissons qu’à la 15ème place, les six meilleurs de la classe étant, dans l’ordre, la Suisse, la Suède, Singapour, les USA, l’Allemagne et le Japon.

On a beaucoup jasé à propos de l’inauguration d’une nouvelle usine Renault au Maroc, à Tanger précisément. Mais peut-on reprocher à Carlos Ghosn d’être soucieux des intérêts de l’entreprise qu’il dirige, où c’est vrai l’Etat est encore un actionnaire de poids ? 40% des ventes en France en matière automobile sont réalisées sur des entrées de gamme, à savoir de petites autos à faibles marges. Il faut donc fabriquer moins cher, et si en plus on parle de « low cost », il faudra encore trouver moins cher que moins cher, donc au Maroc. Et les chiffres sont significatifs, entre 2005 et 2010, la production automobile en France a été divisée par deux, Renault par exemple ne réalise chez nous qu’à peine 20% de sa production.

Mais l’auto n’est pas seule sur cette route qui ne mène nulle part. En dix ans, la part de l’industrie dans le PIB est passée de 24 à 14%, larguant au passage quelque 500.000 emplois.

 

L’utopie d’une France « propre »…

Nous nous sommes désindustrialisés plus rapidement que les autres, abandonnant irrémédiablement des savoir-faire et une main d’œuvre hautement qualifiée, laissant des villes, parfois des territoires en friche car on le savait, on le disait haut et fort durant les années 80 : qui veut encore aller dans les usines ?

Alors, me direz-vous, comment décréter cette « mobilisation générale » ? On ne va pas systématiquement aller voir ce qu’il s’est passé de l’autre côté du Rhin, mais rappelons quand même que les Allemands ont consenti de gros efforts au cours de la décennie passée, principalement au niveau des salaires, afin de réussir un redressement économique indispensable face à cette nouvelle concurrence des émergents. Un redressement réussi dans la discussion et l’acceptation de sacrifices, non dans l’affrontement et les appels à la révolution. On le constate aujourd’hui avec la chute du rassemblement de gauche « Die Linke », l’équivalent du Front de Gauche mené par Mélenchon à la présidentielle, parce que les Allemands ne sont pas partis dans le même « délire » révolutionnaire que nous : « Ils iront pendre aux cheveux les importants parce qu’ils sont excédés de les voir piller et saccager notre pays, gaspiller les efforts des travailleurs », c’est ainsi que Jean-Luc Mélenchon voit la suite des événements dans son livre « Qu’ils s’en aillent tous ». « Ils », c’est bien sûr le peuple prêt pour le Grand Soir.

Cette campagne qui débute ne ressemble pas à la réalité. Elle ne tient pas compte d’où nous venons et où voulons-nous aller. Elle n’est pour le moment qu’anti-Sarkozy. Bien sûr, il est le sortant, donc pour tous les prétendants, à sortir. C’est la règle après tout. Mais au-delà du « casse-toi que je m’y mette », sommes-nous en droit d’attendre autre chose ? Qu’avons-nous entendu jusqu’à ce jour, hormis quelques subtilités sur les 35 heures, 32 pour les uns, 37 pour les autres ? Les plus radicaux veulent nous faire sortir de l’euro (les pieds devant ?), voire du système capitaliste. Mais d’où venons-nous et où voulons-nous aller, silence. Mais là est l’essentiel, c’est à partir de ce que nous avons que nous pouvons progresser, non pas en le niant. Et en France, nous avons presque tout, globalement on ne manque de rien. Mais à force de toujours demander plus, un jour on manquera de tout !

Malheureusement, il faut l’admettre, à cause de cette « sinistrose » instruite jour après jour et dont le seul but est de dézinguer qui vous savez, nous voici désormais en dépression collective. Pour la gauche, la France serait ravagée, pour la droite en danger identitaire. Même le progrès est devenu anxiogène. C’est quasiment du suicide !

 

Nous ne sommes pas en 1981

Dans les années 30, Aldous Huxley signa son chef-d’œuvre « Le meilleur des mondes », symbole de la dystopie, cette forme d’utopie négative qui nous pend au nez, ce besoin de créer cette société parfaite qui n’aboutira jamais, sinon au désastre. N’est-ce pas celle que nous cherchons, celle qui a montré toutes ses limites avec le communisme à l’est de l’Europe ?

Il faut demander plus à l’Etat, plus à la commune, plus sans savoir quel sera le montant de la facture. « On fera payer les riches ! »… Retour à cette mythologie qui donne toujours le beau rôle à la gauche française, une gauche qui redistribue, certes c’est honorable, mais qui se fracasse contre le mur des réalités économiques. Rappelons le Cartel des gauches en 1924, le Front Populaire en 1936, et le passage « de l’ombre à la lumière » en 1981 et la grande désillusion qui s’annonça un an plus tard, les dévaluations et le chômage qui atteignit des records malgré des créations massives d’emplois publics, l’un n’étant d’ailleurs pas dissociable de l’autre. 

Pourtant, l’utopie était belle, le changement sûrement nécessaire car la droite régnait sans partage depuis 23 ans, il en allait de la stabilité sociale du pays. Mais nous ne sommes pas en 1981. Les caisses sont vides, l’environnement économique a totalement changé, la Chine et l’Inde se sont éveillées, sans oublier l’Amérique du Sud et même la Russie, et à l’intérieur, les rapports entre gauche et droite ne sont plus les mêmes. Depuis 1981, la gauche a gouverné quinze ans avec Mauroy, Fabius, Rocard, Cresson, Beregovoy et Jospin, soit la moitié du temps écoulé, et elle gère aujourd’hui toutes les régions, les deux tiers des départements, les grandes villes et le Sénat. Pour l’utopie, il faudra revenir plus tard, en fait elle n’a pas grand-chose d’autre à proposer que la boutique UMP d’en face. On ne le dira jamais assez, l’heure est aux économies.

 

Enfumage

Le voilà le seul programme crédible, le reste n’est qu’enfumage, de la vente forcée, des paroles de camelot. Et retour à la « mobilisation générale » évoquée plus avant. C’est ensemble que nous éviterons les travers qui ont jeté les Grecs à la rue, et demain les Espagnols ou les Portugais. Arrêtons de faire semblant de croire que nous pouvons encore développer des Services Publics, avec plus d’écoles, plus d’enseignants, plus de policiers, de pompiers, de cheminots, d’agents des collectivités territoriales, et surtout plus d’argent pour le social. Tout cela a un coût incontournable : hausse des charges et des impôts et baisse de la compétitivité.

« Les dépenses absolument nécessaires pour la subsistance de l’Etat étant assurées, le moins qu’on peut lever sur le peuple est le meilleur. » Cette phrase est pleine de bon sens, elle n’est pas d’un libéral du moment, on la doit à Richelieu.

J’entendais récemment que le nombre de Français vivant sous le seuil de pauvreté serait plus important qu’au sortir de la Guerre. Mais de qui se moque-t-on ? Enfumage et manipulation. Nous étions 40 millions en 1945, nous sommes presque 70 millions aujourd’hui. D’où venons-nous ? Allez donc voir les statistiques, non pas de 1945 mais de 1960, il y a cinquante ans, et regardez qui avait une salle de bains, des toilettes dans l’appartement, un vrai chauffage, un frigo, une voiture ?...

Depuis les années 80, le niveau de vie des Français a augmenté de 50%. La France que les médias nous décrivent serait-elle celle de Jacquou le Croquant ? Non, la France d’aujourd’hui est celle qui n’a pas compté ses largesses, celle où les dépenses sociales représentent un tiers du PIB, celle des arrêts de travail records (14,5 jours par an en moyenne en 2010), celle qui a les moyens, paraît-il, de verser l’Allocation de Solidarité aux Personnes Agées (ASPA) à tout étranger de 65 ans autorisé à résider en France, même s’il n’y a jamais vécu, donc jamais travaillé et jamais cotisé, allocation de 709 € par mois, ce que ne touchent pas certains retraités de l’agriculture par exemple, qui ont pourtant nourri les Français avec leur travail. Voilà le pays dans lequel nous vivons, un pays qui dépense, qui aide, qui a un maillage de services publics et un système de soins uniques au monde, mais que nous mettons en péril par égoïsme, par corporatisme, par imbécillité parfois et par démagogie très souvent.

Soyons précis, il ne s’agit pas d’en appeler à une gouvernance d’union nationale, nous ne sommes pas sous les 3ème et 4ème Républiques, le canon de l’ennemi ne tonne pas du côté de Sedan, il faut seulement que chacun défende ses idées et ses propositions, qu’il y ait une gauche et une droite et même un milieu, mais qu’il y ait des idées et des propositions cohérentes avec l’environnement actuel, avec notre capacité à payer, cohérente face aux défis à venir. On ne demande pas le monde meilleur utopique, juste du bon sens, moins de mensonges et de manipulations. Et méfions-nous de ne pas nous laisser entraîner dans une aventure incontrôlable.

Tristan Bernard disait, avec humour certes, « On ne prête qu’aux riches. Et on a raison, les pauvres remboursent difficilement. » Je le redis, c’est de l’humour, mais pensez à la Grèce…

 

Jérôme Nimaud

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