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Je meurs de soif auprès de la fontaine

02/07/2012
« Un jour j’irai vivre en Théorie, parce qu’en théorie tout se passe bien. » On connaît l’expression. Elle nous rappelle cette « espérance mère des imbéciles » comme disent nos amis Polonais qui savent de quoi il en retourne en la matière. Et si l’espérance a du bon, en théorie, en pratique elle n’apporte que désillusions et mauvaises herbes, celles qui reviennent à chaque coupe au fond de notre pensée pavé de bonnes intentions. Finalement, à quoi bon espérer des jours meilleurs me direz-vous ? Et pourquoi pas ? Il se trouvera bien un jour quelqu’un pour nous sortir de cette immense lassitude collective qui nous envahit lorsqu’il s’agit d’affronter ces défis à relever.
« Je meurs de soif auprès de la fontaine » écrivit François Villon. Quelle merveilleuse manière de décrire, quelque six siècles plus tard, l’état dans lequel nous avons mis notre société.

 

 

Tout à l’envers… et inversement

Au début du 20ème siècle, disons à l’époque de nos grands-parents ou arrière grands-parents, ce n’est donc pas si loin, l’homme consacrait environ 40% de sa vie au travail. Au changement de siècle, nous n’étions plus qu’à 10% de notre existence au boulot, quel fabuleux progrès que nous ne savons toujours pas apprécier. Et on sait que nos enfants vivront en moyenne cent mille heures de plus que nous, cent mille heures qu’ils passeront à la retraite évidemment.

Mais peu nous chaut, nous persistons dans notre quête de loisirs, de moins de travail, et comme vient de le promettre le Président Hollande au mépris de toute logique économique – on pourrait même dire de survie économique ! -, c’est dit, nous partirons plus tôt à la retraite.

Nous avons réussi à mettre en état de marche au sortir de la Guerre et surtout durant ces fameuses Trente Glorieuses, un système de protection sociale et de pensions extraordinairement efficace parce que basé sur la solidarité.

Solidarité de ceux qui travaillent envers leurs aînés au repos mérité, solidarité des bien portants envers les malades, solidarité en faveur d’une politique de la natalité cohérente parce que voulue, solidarité envers ceux qui ont perdu momentanément – et non pas à vie – leur travail. Mais nous allons mourir de soif auprès de cette belle fontaine parce que le magnifique équilibre a été rompu : il y a trop de monde sous le robinet et ceux qui pompent pour amener l’eau n’en peuvent plus, de surcroît ce sont toujours les mêmes.

A entendre certains commentaires « post 6 Mai » enflammés, nous serions depuis quelques semaines revenus à l’esprit de Mai 81. Mais quelle foutaise, comment peut-on berner le monde à ce point ? Et pourquoi pas l’esprit de 1789 ou des barricades ? Serions-nous à ce point ahuris pour croire qu’un Messie aurait débarqué de l’avion de Tulle avec des carnets de chèques, des lingots d’or et des billets à ordre, le tout à distribuer « aux plus démunis » comme on dit ? Il ne faut bien sûr pas en parler, mais ceux qu’on appelle « les plus démunis » en première division, souvent des pros, ce sont ceux qui vivent à 100% des aides publiques et qui n’ont pas de honte à tendre la main à chaque nouvelle distribution. Et surtout ne leur demandez pas le moindre effort, ils ne sont que des victimes. Paraît-il.

Pourtant, souvent, les plus démunis sont ceux qui ne demandent rien, ceux qui n’ont aucune arrogance vis-à-vis des services distributeurs, et qui sont au travail pour 1.200 € mensuels… tout en sachant qu’à la fin du mois ils auront moins de pouvoir d’achat que ceux qui ne paient ni loyer (allocation logement), ni sécurité sociale (CMU), et parfois ni gaz et électricité, et qui remplissent le frigo aux Restos du Cœur ou au Secours Catholique se comportant parfois là encore avec arrogance parce que la marque du yaourt donné n’est pas leur préférée. Et je ne parle pas de l’argent touché avec le RSA et les allocations familiales. Mais je retire tout, car c’est vrai, chez nous, cela n’existe pas !

 

Le rocher de Sisyphe de l’action sociale

« La sottise, l’erreur, le péché, la lésine occupent nos esprits et travaillent nos corps, et nous alimentons nos aimables remords comme les mendiants nourrissent leur vermine. » Baudelaire (Les Fleurs du mal) peut-il encore être cité au milieu de ce champ en jachère qu’est devenue la culture dans notre pays. Ah ! évidemment, il y a des festivals partout, mais ce sont toujours les mêmes qui vont au concert. Pour le reste, le livre n’intéresse personne, et la télévision s’est transformée en une immense « Cloaca Maxima », l’Abelard des Lumières n’a même plus envie de roder dans le secteur il n’y croiserait que violence gratuite, saleté, grossièreté, tongs, bières, pizzas et football, ce nouveau Jeu du Stade destiné à préserver la plus immonde parcelle de nationalisme qui dort en nous. Quant à la partie la plus noble, disons la plus proche de l’Histoire, il y a longtemps que les éminences qui nous gouvernent nous ont demandé de la laisser au vestiaire, parce que la mode aujourd’hui est aux communautarismes. Ce sont ces communautarismes qui exigeront bientôt que nous laissions la place. Et ceux qui estiment ces bouleversements démographiques et culturels à l’horizon 2050 ou 2080 vont devoir changer de verres, car en fait tout est déjà sous notre nez.

Mais las ! Il n’est pas bon de penser ainsi, il faut laisser faire les choses, être ouvert à tout, c’est quasiment un ralliement sectaire qui nous est proposé, un « élan fabuleux » pour reprendre l’expression de certains politiques avant qu’ils nous fassent un croche-pied. 

« Je pense que la bonne conscience commune provoque dans l’ordre de la politique, comme dans l’ordre de la morale, des ravages » disait Michel Foucault. Pour les ravages c’est fait, tant en politique que pour la morale. Durant des mois, « la bonne conscience » a été enfoncée dans nos crânes comme un vœu pieux : Sarkozy était la bête immonde à abattre et les condottieri de la Lutte des Classes ont parcouru le Gévaudan, et les environs, pour nous en débarrasser. On frôlait par moment l’œuvre de salut public ! Pourquoi ? Juste pour faire oublier le plus important, les Autres !

 

Les Autres nous font peur

Ceux qui n’ont pas nos problèmes métaphysiques et nombrilistes, ceux qui travaillent pendant nos RTT, ceux qui ont compris que la mondialisation est actée avec effet de non-retour en 1980, ceux qui admettent qu’il faudra travailler plus longtemps, demander moins de social, moins de chèques-cadeaux pour ceci et pour cela, ceux qui ne se prennent pas pour une « exception culturelle », encore un mot totalement vide de sens destiné à masquer notre lâcheté. 

Les Autres, ce sont ceux que sa Normalité Présidentielle veut mettre à son heure d’été et aux vacances prolongées au nom d’une espèce de philosophie sudiste avec bronzage intégral. Les Autres à qui nous voulons imposer la mutualisation des dettes parce que nous refusons l’idée de rigueur et de réformes au service du redressement de la compétitivité, préférant relancer la consommation à crédit. En gros, nous empruntons et les Autres remboursent !

Oui les Autres nous font peur parce qu’ils ne veulent pas nous ressembler. Mais ils feront sans nous si nécessaire, rassurons-nous…

Oui, nous allons mourir de soif auprès de cette fontaine, par sottise, par erreur, par péché… la lésine serait liée à l’idée de courage.

En 2006, celui qui n’était pas encore notre nouveau guide suprême nous avait avertis : « Je n’aime pas les riches, j’en conviens ! » Ca commençait bien ! Comme si la gauche représentait les pauvres et la droite les riches. Quelle mystification digne d’un adepte du grand Oudini quand on sait que ceux qui ont les meilleurs salaires et les meilleures pensions ont voté Hollande.

 

Du grain à moudre

La gauche est généreuse dans son programme électoral, puis autiste face aux réalités. On parlera d’héritage, on commandera des audits comme d’autres reprennent un Picon-bière sur le zinc, et surtout on tricotera quelques mesures dont le seul but sera de donner du grain à moudre à la famille Le Pen, grand-père, fille et petite-fille. L’avenir électoral de la gauche est soudé à la bonne santé d’une famille qui lui assurera le gîte et le couvert dans les mairies, les conseils généraux et régionaux, et au sommet de l’Etat.

Vous en doutez ? Lorsqu’il y a urgence à continuer les réformes structurelles du pays, à consolider le tissu économique, à préserver nos systèmes de retraites et d’assurances sociales, bref lorsqu’il y a urgence à créer de nouvelles richesses, on nous sort le mariage des homosexuels et le vote des étrangers. Le Parti Socialiste a bien compris que le FN avait les moyens de devenir la première force de droite en France.

« L’Europe sociale est notre objectif » expliquait le 30 juin Bernard Cazeneuve, le Ministre délégué aux affaires européennes. Croyez-vous que l’Europe sociale soit l’urgence actuelle ? Croyez-vous que nous pouvons envoyer ce message aux Grecs, aux Espagnols, aux Portugais, aux Italiens, et surtout aux Français au moment où il faut parler de combattre pour survivre, mobiliser chacun d’entre nous pour accepter dix années d’efforts, et non de rigueur, mot utilisé par ceux qui prônent le contrôle de la circulation des biens et des personnes ? 

Tentons d’abord de pérenniser nos systèmes sociaux aujourd’hui vacillants, au lieu de promettre davantage de crème à bronzer et de sodas gratis.

Et surtout, ne croyons pas que les Autres vont accepter de rapetisser leurs vies pour les mettre au niveau de notre société. En théorie (on y revient !) nous avons les moyens de réagir, de ne pas devenir aussi Grecs que les Grecs. Mais c’est la pratique qui nous pose problème : hausses d’impôts, hausses des charges sociales, augmentation des allocations, embauche de fonctionnaires… nous prenons à contre-pied toutes les politiques mises en œuvre ailleurs en prenant un colossal risque, transformer une fontaine en un minuscule goutte à goutte…

 

Jean-Yves Curtaud

 
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